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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/645

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DISCOURS SUR LE PSAUME 115

SERMON AU PEUPLE.

CHANT DES MARTYRS.

Prêcher le Christ, c’est conformer ses mœurs à la foi, autrement on aurait la vérité à la bouche, le mensonge dans le cœur ; c’est encourir la réprobation. D’autres croient sans prêcher, retiennent le talent sans le faire fructifier, et sont aussi réprouvés. Le fidèle serviteur croit et prêche ; sa parole lui vaut de nombreuses persécutions sans que la vérité en souffre aucune atteinte. Dans son extase il a compris qu’il ne pouvait compter sur lui-même, parce que l’homme est menteur et que Dieu seul peut donner la vérité. Mais que rendra-t-il au Seigneur en échange de cette vérité ? Ce qui vient de lui, le calice du salut, ou la force de souffrir. De lui-même il n’est que l’esclave, mais en servant de bonne volonté, il devient le fils de la Jérusalem libre, ou de l’Église. Alors il se glorifie en Dieu qui a brisé ses tiens ; il s’offre lui-même au milieu de cette Jérusalem ou de l’Église répandue par toute la terre, comme le prouve le psaume suivant : Peuples, célébrez tous les louanges du Seigneur, qui demeure ferme dans ses promesses comme dans ses menaces.


1. Votre sainteté, mes frères, connaît sans doute ce mot de l’Apôtre : « La foi n’est point l’apanage de tous[1] ». Et vous n’ignorez pas que le nombre des infidèles est le plus grand ; aussi le Prophète s’est-il écrié « Seigneur, qui a cru à notre parole[2] ? » C’est parmi ces incrédules que l’on peut ranger ceux dont l’Apôtre a dit : « Tous cherchent leurs intérêts et non ceux du Christ[3] ». Et ailleurs il dit que ces hommes annoncent la parole de Dieu non par un vrai zèle, mais par occasion ; non pas d’une manière chaste[4], c’est-à-dire qu’ils n’ont ni intention pure, ni charité sincère. Autres, en effet, étaient leurs sentiments, que laissaient voir leurs mœurs, et autre leur prédication, qui leur attirait l’estime des hommes par les saintes vérités qu’ils prêchaient. Aussi l’Apôtre a-t-il encore dit de ces hommes qu’« ils ne servent point le Dieu qu’ils prêchent, mais leur ventre[5] ». Et toutefois, il leur permet de prêcher le Christ. Bien que leur foi, en effet, non plus que leurs actions, ne pût aboutir qu’à la mort, toutefois ils prêchaient des vérités qui eussent pu sauver ceux qui les eussent embrassées par la foi ; car ils ne prêchaient rien qui fût en dehors des règles de la foi. Autrement ils fussent tombés sous cet anathème de l’Apôtre « Si quelqu’un », nous dit-il, « vous annonce d’autres vérités que celles que vous avez reçues, qu’il soit anathème[6] ». Or, ce n’est pas prêcher le Christ, que prêcher la fausseté, puisque le Christ est vérité[7]. Et toutefois, l’Apôtre dit de ces derniers qu’ils annoncent le Christ, bien qu’ils ne le fassent point d’une manière pure, c’est-à-dire bien qu’ils n’agissent point avec un esprit simple et pur, et avec la foi sincère qui agit par la charité[8]. Pleins des terrestres convoitises, ils annonçaient le royaume des cieux, et avaient ainsi la fausseté dans le cœur, la vérité sur la langue. Or, l’Apôtre, sachant bien que ceux qui avaient cru à l’Évangile, sur la prédication de Judas, étaient sauvés, donne à ceux-ci cette liberté de prêcher : « Pourvu que le Christ soit annoncé, peu importe que ce soit par occasion ou par un vrai zèle[9] ». Ils n’annoncent pas moins la vérité, bien que ce ne soit point dans la vérité, c’est-à-dire avec une intention pure. Ils prêchent ce qu’ils ne croient point, et c’est pour cela qu’ils sont réprouvés ; bien qu’ils soient utiles à ceux que le Seigneur daigne avertir ainsi : « Faites ce qu’ils vous disent et non ce qu’ils font, car ce qu’ils disent, ils sont loin de le faire[10] ». Pourquoi, sinon parce qu’ils ne croient point l’utilité de ce qu’ils prêchent ? Il en est d’autres qui croient, sans prêcher ce qu’ils croient, retenus par la tiédeur ou par la crainte. Et ce serviteur qui avait reçu un talent, ne s’entendit pas moins appeler : Méchant et lâche serviteur[11], parce qu’il ne l’avait point mis à profit. Dans un autre endroit de l’Évangile, il est dit que beaucoup

  1. 2 Thes. 3,2
  2. Isa. 53,1 ; Rom. 10,16
  3. Phil. 2,21
  4. Id. 1,27
  5. Rom. 16,18
  6. Gal. 1,9
  7. Jn. 14,6
  8. Gal. 5,6
  9. Phil. 1,18
  10. Mt. 23,3
  11. Id. 25,26