Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LIVRE SECOND.
De l’Incarnation à la Cène. Nul désaccord entre les quatre Évangélistes.

PROLOGUE.

1. Dans un discours assez long pour former un premier Livre, discours d’ailleurs très-nécessaire, nous avons réfuté la sotte erreur de ces païens, qui jugent indigne de toute confiance et de tout égard la rédaction de l’Évangile due aux disciples de Jésus-Christ, parce que nous ne montrons aucun écrit venant de Jésus lui-même. Selon eux, Notre-Seigneur a droit aux hommages de la terre, non, il est vrai, comme un Dieu, mais comme un homme doué d’une sagesse bien supérieure à celle des plus célèbres philosophes ; seulement, ils voudraient bien aussi le faire passer pour l’auteur de certaines maximes vantées par eux, maximes capables de plaire à des âmes perverses, non de corriger la perversité des lecteurs eu devenant l’objet de leur croyance. Nous avons fait justice de ces billevesées ; voyons ! donc maintenant dans ce que les quatre évangélistes ont écrit du Sauveur, l’accord que chacun a su garder avec lui-même et avec les trois autres. Il se rencontre des gens plus curieux que capables, qui, après avoir non pas lu d’une manière quelconque, mais étudié avec une application particulière les livres évangéliques, croient y remarquer, en divers endroits des choses incompatibles et contradictoires, et songent moins à en faire un examen sérieux et prudent qu’à les relever avec contention. Nous voulons leur ôter cette pierre d’achoppement pour la foi chrétienne.

CHAPITRE PREMIER. POURQUOI LA GÉNÉALOGIE DE JOSEPH ET NON CELLE DE MARIE :

2. Voici comment débute l’évangéliste saint Matthieu : « Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham[1]. » Il montre assez clairement par là qu’il veut parler de la naissance de Jésus-Christ selon la chair ; car c’est en vertu de cette génération que le Christ est le fils de l’homme, comme il s’appelle très-souvent lui-même[2], nous faisant ainsi souvenir de ce que dans sa miséricorde il a daigné devenir pour nous. Quant à l’éternelle et sublime génération suivant laquelle Jésus-Christ est le fils unique de Dieu, engendré avant toute créature, puisque tout a été fait par lui, elle est tellement ineffable qu’à elle seule conviennent ces paroles du prophète Isaïe : « Qui racontera sa génération[3] ». Saint Matthieu expose donc la génération humaine du Sauveur, et prenant ses ancêtres à partir d’Abraham il les conduit jusqu’à Joseph, époux de Marie de qui est né Jésus. En effet, de ce que Marie est devenue mère, sans nul concours de la part de Joseph et en demeurant vierge, l’évangéliste ne pouvait croire pour cela que Joseph dût être considéré comme n’étant pas vraiment l’époux de Marie. L’exemple de cette chaste union prouve magnifiquement, au contraire, que l’état des fidèles mariés, même dans la condition d’une continence parfaite mutuellement consentie, ne laisse pas d’être un véritable mariage et peut en conserver le nom ; il suffit pour cela que les époux demeurent unis par les sentiments de l’âme, quoique leurs corps ne s’unissent pas. Et cette preuve est d’autant plus frappante qu’un fils a pu naître à Joseph et à Marie, en dehors de l’acte charnel dont on ne doit faire usage que pour avoir des enfants. On ne devait pas non plus refuser à Joseph le titre de père de Jésus-Christ, sous prétexte qu’il n’avait pas concouru à la génération du Sauveur ; puisque par l’adoption il aurait pu devenir le père d’un enfant qui ne serait même pas né de son épouse.

3. Il est vrai que Jésus-Christ passait pour être le vrai fils de Joseph, engendré de sa chair. Mais cette opinion n’avait pour fondement que l’ignorance où l’on était de la virginité de Marie. « Et Jésus était alors âgé d’environ trente ans, fils de Joseph, comme on le croyait. » Ce sont les paroles de saint Luc[4], qui pourtant ne fait pas la moindre difficulté d’appeler à la fois Joseph et Marie parents de Jésus, quand il dit : « L’enfant croissait et se fortifiait ; il était rempli de sagesse,

  1. Mat. 1, 1
  2. Mat. 8, 20 ; 9, 6
  3. Isa. 53, 8
  4. Luc. 3, 23