Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/394

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Tyr et de Sidon et représentant dans l’Évangile la Gentilité, elle demandait le salut de sa fille ; lorsque le Seigneur lui répondit : « Il n’est pas bien de jeter aux chiens le pain des enfants » et que sans repousser cette accusation, et comme pour obtenir par l’aveu de ses péchés le salut de sa fille, c’est-à-dire de sa vie nouvelle : « Il est vrai, Seigneur, reprit-elle ; mais aussi les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres[1] ? » Comme dans la langue de cette femme le mot Tria, trois, se traduit par salus, salut, car elle était Chananéenne, et quand on demande à nos paysans ce qu’ils sont, ils répondent Chananens, mot qui est absolument le même que Chananéens, sauf une lettre retranchée, ce qui arrive souvent en pareil cas ; conséquemment cette femme, en demandant le salut, demandait la Trinité. Car la langue Romaine, dont le mot salus désigne en punique la Trinité, se trouvait comme à la tête des Gentils quand Notre-Seigneur vint sur la terre ; et nous avons dit que cette Chananéenne représentait la Gentilité. De plus en appelant pain ce que demandait cette femme, Notre-Seigneur rend un nouveau témoignage à la Trinité ; car il enseigne clairement, dans un autre, endroit, que cette même Trinité est désignée sous l’expression de trois pains. Cependant, que ce rapprochement de mots soit un effet du hasard, ou un dessein de la Providence, il ne faut pas vouloir opiniâtrement imposer à tous cette manière de l’entendre ; mais ne s’y attacher qu’autant que le bon vouloir de l’auditeur y voit une saillie d’esprit.

14. Péché contre le Saint-Esprit. — Voici une chose qui paraîtra sûrement digne de fixer toute l’attention de notre esprit et d’exciter tout le zèle de notre piété. Si l’Apôtre, voulant faire mémoire de chacune des trois personnes de la Sainte-Trinité, se sert des mots de grâce et de paix, absolument comme s’il nommait expressément le Saint-Esprit, il s’ensuit qu’on pèche contre le Saint-Esprit, quand, se laissant aller au désespoir, ou même tournant en dérision et méprisant formellement la prédication de la grâce qui efface nos péchés et celle de la paix qui nous tient réconciliés avec Dieu, on refuse de faire pénitence de ses péchés et qu’après avoir résolu en soi-même de continuer à en savourer la douceur impie et mortelle, on persévère jusqu’à la fin dans cet état. Or, le Seigneur enseigne que si on a dit une parole contre le Fils de l’homme, ce péché peut être remis ; mais si c’est contre le Saint-Esprit, on ne saurait en obtenir le pardon, ni maintenant ni dans le siècle à venir, parce qu’on est coupable d’un péché éternel. Il faut donc saisir avec soin le sens de cette pensée. Supposons que le nom du Saint-Esprit ayant été prononcé en présence d’une personne étrangère à la langue latine, cette personne demande quel est l’objet désigné par cette réunion de syllabes ; supposons encore que, par un mensonge ou une dérision impie, quelqu’un nomme un autre objet, objet vil et méprisable, quel qu’il soit, dans le but de tromper l’interrogateur, comme ces sortes d’hommes ont coutume de le faire, sous prétexte de s’égayer ; supposons enfin que, par suite de son ignorance, cette personne méprise ce mot dont elle ne connaît pas le sens et qu’elle prononce contre lui des paroles injurieuses : nul, je pense, ne sera assez étourdi ni assez inconsidéré pour accuser cette personne d’une faute même légère contre la piété. Si au contraire, sans exprimer le nom, on donne à l’interrogateur et en des termes appropriés à son intelligence, l’idée de l’objet même, de l’Esprit-Saint, et que le questionneur se laisse aller à des paroles ou à des actions injurieuses contre cette sainteté infinie, il sera regardé comme coupable. Cette supposition établie, il est manifeste, ce me semble, que la personne qui, ayant entendu le nom du Saint-Esprit, mais sans attacher à ce nom le sens qu’il a réellement, aurait prononcé une parole contre l’objet différent qu’elle croyait être désignée par ce nom, il est manifeste, dis-je, qu’on ne pourrait pas regarder son péché comme une parole dite contre le Saint-Esprit. De même, si on demandait ce que c’est que le Saint-Esprit et qu’un ignorant répondît que le Saint-Esprit est le Fils de Dieu, le Fils de Dieu par qui toutes choses ont été faites, qui est né d’une Vierge en temps convenable, qui a été mis à mort par les Juifs et qui est ressuscité ; et qu’alors, après avoir entendu cette réponse, on voulût nier ou tourner en dérision ce qui aurait été dit, on serait assurément coupable d’une parole prononcée non pas contre le Saint-Esprit, mais plutôt contre le Fils de Dieu ou contre le Fils de l’homme, puisqu’il a daigné en prendre le nom et la nature. En effet il ne faudrait pas alors considérer le nom même qui aurait été prononcé par cet ignorant, mais seulement l’idée qui aurait été exposée par lui ; car sans aucun doute en prononçant les paroles

  1. Mt. 15, 22-27