Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/408

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Pais mes brebis[1] » recevaient très volontiers d’un pasteur moins élevé en dignité une réprimande qui pouvait procurer le salut du troupeau. Celui des deux apôtres à qui s’adressait la correction était plus admirable et plus difficile à imiter que celui qui la faisait. Il est effectivement plus facile de remarquer ce qu’il y a à corriger dans autrui et de le censurer, soit par le blâme soit par un reproche direct, que de voir ce qu’il y a à reprendre en nous et de le reprendre soit par nous-mêmes soit par un autre, surtout quand celui-ci nous est inférieur et qu’il fait sa correction en public. Ici donc quel magnifique exemple d’humilité, une des premières règles de la vie chrétienne, puisque c’est l’humilité qui conserve la charité ! Rien en effet ne la détruit plus vite que l’orgueil. Aussi le Seigneur n’a-t-il pas dit : Prenez mon joug et apprenez de moi que je ressuscite dans leurs tombeaux des cadavres de quatre jours, que je chasse tous les démons des corps humains, que je dissipe les maladies et que je fais d’autres choses semblables ; mais r Prenez mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur[2]. » Ces miracles étaient les figures des œuvres spirituelles : mais c’est une chose éminemment spirituelle de conserver la charité avec douceur et avec humilité ; c’est à cela que sont conduits par la vue des prodiges ceux qui trop attachés encore aux choses sensibles demandent la foi au monde invisible, non point aux choses visibles connues et ordinaires, mais aux choses visibles qui arrivent extraordinairement et qui éclatent tout à coup. Si donc les docteurs qui contraignaient les Gentils avaient appris à être doux et humbles de cœur, comme saint Pierre l’avait appris du Seigneur ; surtout en voyant un si grand homme réformer sa conduite, ils eussent été portés à l’imiter et ils n’auraient plus considéré que si l’Évangile du Christ leur avait été prêché, c’était envers eux une dette de justice. « Sachant même que l’homme ne trouve point sa justification dans les œuvres de la Loi, mais seulement dans la foi en Jésus-Christ » afin de pouvoir accomplir la Loi avec l’aide, non pas de ses propres mérites mais de la grâce de Dieu ; ces docteurs n’astreindraient point les Gentils aux observances charnelles de la Loi, ils sauraient qu’avec la grâce de la foi ils peuvent accomplir ce que la Loi contient de préceptes spirituels. Aussi bien lorsqu’on se croit capable d’observer pas ses propres forces et non par la grâce et la miséricorde de Dieu les œuvres de la Loi ; aucune chair, c’est-à-dire aucun homme, aucun de ceux qui ont ces sentiments charnels, ne peut par là être justifié[3]. Voilà pourquoi ceux qui ont passé du joug de la Loi à la croyance en Jésus-Christ, ont obtenu la grâce de la foi, lion parce qu’ils étaient justes, mais pour le devenir.
16. Les œuvres de la Loi ne sauraient justifier. – Les Juif savaient donné aux Gentils le nom de pécheurs, c’était par suite de leur orgueil invétéré ; mais en se croyant justes, ils voyaient la paille dans l’œil d’autrui, et dans le leur ils ne voyaient pas la poutre. Se conformant donc à leur usage, l’Apôtre dit : « Nous sommes, nous, Juifs de naissance et non pécheurs d’entre les Gentils ; » et non de ceux qu’ils appellent pécheurs, quoi qu’eux-mêmes le soient. Eh bien ! Nous qui sommes Juifs de naissance » puisque nous n’étions point Gentils, de ceux qu’eux-mêmes appellent pécheurs et qui, pourtant sommes pécheurs aussi, « nous croyons au Christ Jésus, pour être justifiés par la foi au Christ. » Auraient-ils cherché la justification, s’il n’eussent été pécheurs ? Ou le sont-ils devenus pour avoir cherché leur justification dans le Christ ? De fait ils auraient péché si étant justes ils avaient cherché ailleurs la justice. Mais s’il en est ainsi, « le Christ n’est-il donc pas ministre du péché ? » Les Judaïsants même ne sauraient l’admettre, puisque tout en s’opposant à ce qu’on livrât l’Évangile aux Gentils qui ne se faisaient pas circoncire, eux-mêmes avaient cru en Jésus-Christ. Aussi c’est en leur nom comme au sien qu’il répond : « Nullement. » L’Apôtre voulait donc anéantir l’orgueil qui se glorifiait des œuvres de la Loi ; cet orgueil devait et pouvait disparaître, car eût-on compris la nécessité de la grâce de la foi, si l’on avait regardé les œuvres légales comme capables de, justifier sans elle ? On est donc prévaricateur si on les rétablit sous le prétexte qu’elles justifient sans la grâce et l’on tend à faire de Jésus-Christ le ministre du péché. A ces mots : « Si je rétablis ce que j’ai détruit, je me constitue moi-même prévaricateur[4] » on pouvait objecter à l’Apôtre : Comment ! C’est en appuyant aujourd’hui la foi du Christ que tu attaquais auparavant, que tu te constitues prévaricateur ? Mais jamais il ne l’a détruite, puisqu’elle est indestructible.

  1. Jn. 21, 15
  2. Mt. 11, 29
  3. Gal. 2, 11-15
  4. Ib. 16-18