convaincre de n’avoir pas l’amour du prochain, lorsqu’ils se comportent injustement envers leurs semblables ? On ne saurait aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, sans aimer aussi son prochain comme soi-même ; puisque tel est l’ordre ferme de celui qu’on aime de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit. Qui pourrait également aimer son prochain, c’est-à-dire tous les hommes, comme soi-même, sans aimer Dieu, dont le précepte et la grâce font qu’on peut aimer le prochain ? Ces deux préceptes étant donc tellement inséparables qu’on ne peut être fidèle à l’un sans être, fidèle a l’autre, il suffit souvent, quand il s’agit des œuvres de justice, de rappeler l’un des deux, et on rappelle avec plus d’à-propos celui dont la pratique se prouve plus facilement dans chacun de nous. Aussi saint Jean dit-il : « Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu, qu’il ne voit pas[1] ? » C’est que.plusieursprétendaient faussement avoir l’amour de Dieu ; leur haine contre leurs frères prouvait le contraire ; or il est facile de constater cette haine par la conduite et les mœurs de chaque jour.« Que si vous vous mordez et vous déchirez les uns les autres, prenez garde que les uns les autres vous ne vous consumiez. » C’est surtout ce funeste esprit de chicane et d’envie qui nourrissait parmi eux des divisions déplorables, chacun parlant d’autrui et cherchant sa propre gloire dans de vains triomphes ; habitudes fatales qui détruisent la société humaine en y créant mille partis. Mais comment échapper à ces vices, si on ne se conduit par l’esprit et si on ne comprime les convoitises charnelles ? Aussi les premières et les plus belles qualités de l’esprit sont l’humilité et la douceur : de là vient, comme je l’ai rappelé déjà, que, le Seigneur s’écrie : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur[2] ; » de la viennent aussi ces paroles d’un prophète : « Sur qui repose mon Esprit, sinon sur l’homme humble, paisible et tremblant à ma parole[3] ? ».
46. La grâce, nécessaire à la liberté[4]. – Nous lisons ensuite : « La chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ; il sont en effet opposés l’un à l’autre, en sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Ces derniers mots sont pour plusieurs – l’occasion de croire que l’Apôtre nous refuse le libre arbitre ; mais ils ne remarquent pas que l’Apôtre ne parle ainsi que dans l’hypothèse où les Galates ne voudraient pas conserver la grâce de la foi qu’ils ont reçue et qui leur est nécessaire pour ; suivre la direction de l’esprit et ne pas satisfaire les convoitises de la chair ; c’est dans le cas Ails rejetteraient cette grâce qu’ils ne pourraient faire ce qu’ils veulent. Que veulent-ils en effet ? Produire les œuvres de justice commandées par la Loi ; mais ils sont vaincus par la concupiscence de la chair et ils perdent, en s’y abandonnant, la grâce de la foi. Aussi l’Apôtre écrivait – il encore aux Romains : « La prudence de la chair est ennemie de Dieu ; car elle n’est point soumise à la Loi de Dieu et ne saurait l’être[5]. » Effectivement, la charité accomplit la Loi, et la prudence de la chair en recherchant les avantages temporels, lutte contre la charité : comment donc peut-elle être soumise à la Loi de Dieu, c’est-à-dire accomplir avec plaisir et fidélité la justice sans la blesser en rien, puisque même en y travaillant elle sera nécessairement vaincue, dès qu’elle apercevra pour elle un plus grand avantage temporel dans l’iniquité que dans la fidélité à la justice ? De même en effet que la première vie de l’homme est antérieure à la promulgation de la Loi, et qu’alors aucune iniquité et aucun acte de méchanceté ne lui étant interdits par personne, il ne cherche sous aucun rapport à résister à ses passions déréglées ; ainsi sa seconde vie est la vie qu’il mène sous la Loi avant d’avoir reçu la grâce ; le péché lui est alors interdit et il travaille à s’en abstenir, mais il est vaincu parce qu’il n’aime pas encore la justice en vue de Dieu ni en vue d’elle-même et qu’il n’en veut que comme d’un moyen pour se procurer les biens temporels. Si donc il voit, d’un côté la justice et d’autre part une satisfaction temporelle, il est entraîné par le poids même de sa passion pour les biens temporels, et il laisse la justice ; il la laisse, puisqu’il né tenait à elle que pour se procurer ce qu’il va perdre s’il y tient encore. Une troisième vie est la vie de la grâce ; il n’est alors aucun intérêt temporel qu’on préfère à la justice, ce qui ne peut se faire que par l’amour spirituel que le Seigneur nous a enseigné par son exemple et accordé par sa grâce. En effet, lors même que durant cette troisième vie, on ressentirait encore ces désirs charnels qui ont leur principe dans la fragilité d’un corps mortel, ils ne parviennent pas à triompher de l’âme en la faisant consentir au péché. Le péché, de cette manière, ne règne plus dans notre
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