Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/432

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on ne doit se départir pour soi-même de l’occasion convenable, et à « contre-temps » signifiera simplement qu’on paraît importun à celui qu’on corrige et qui n’entend pas volontiers ce qu’on lui reproche, bien qu’on sache soi-même que la réprimande se fait à temps et qu’on l’aime, qu’on prend soin de son salut avec un cœur plein de douceur, de retenue et de charité fraternelle. Combien n’y en a-t-il pas qui songeant ensuite à ce qu’on leur a dit, à la justesse des reproches qui leur ont été adressés, se reprennent plus fortement et plus sévèrement eux-mêmes ! Ils paraissaient irrités en s’éloignant du médecin ; mais l’énergie de sa parole les pénétrant jusqu’à la moëlle des os, ils se trouvent guéris. Or ils ne le seraient pas, si pour traiter un malade dont les membres se gangrènent, nous attendions qu’il nous demandât de bon cœur de porter sur lui le fer ou le feu. Tout en agissant en vue d’une récompense terrestre, les médecins du corps n’attendront pas toujours ce moment eux-mêmes. Est-il beaucoup de malades qu’ils ne doivent lier avant de leur appliquer soit le feu soit le fer ? N’en est-il pas moins encore qui' se laissent lier volontairement. La plupart en effet résistent, ils crient qu’ils préfèrent la mort plutôt qu’une guérison obtenue par ces moyens ; on n’enchaîne pas, moins tous leurs membres, en leur laissant à peine la liberté de la langue ; puis sans consulter leur volonté propre ni celle du.maladequi se débat, mais les prescriptions de l’art, ces médecins travaillent sans que les cris ni les injures du patient puissent émouvoir leur cœur, ni arrêter leur main. Et des ministres qui sont chargés d’exercer une médecine toute céleste, ne veulent regarder qu’au travers d’une poutre haineuse la paille qui est dans l’œil de leur frère[1], ou bien ils trouveront plus supportable la mort de ce pauvre pécheur, que quelque parole d’indignation proférée contre eux ! Ah ! Il n’en serait pas ainsi, si pour guérir l’âme d’autrui notre âme était aussi saine que le sont les mains des médecins qui opèrent sur nos membres.
51. Nécessité de la charité pour faire la correction fraternelle. – Jamais donc il ne nous faut entreprendre de corriger la faute d’autrui qu’après avoir interrogé, examiné les replis de notre conscience et avoir pu nous répondre sincèrement devant Dieu que nous n’agissons que par amour. Les outrages, les menaces, les persécutions mêmes de celui que tu reprends parviennent-elles à te blesser le cœur ? Si tu crois le malade susceptible encore d’être guéri par toi, ne réponds rien avant de t’être guéri d’abord ; il serait à craindre que sous l’impression de tes mouvements naturels tu ne consentisses à le blesser, à faire de ta langue un instrument d’iniquité pour commettre le péché[2], pour rendre mal pour mal et outrage pour outrage[3]. Car toute parole qui viendrait de ton cœur blessé, serait plutôt un acte de vengeance qu’une correction charitable. Aime donc, et dis ce que tu voudras ; et ce qui semblerait une injure n’en sera nullement une, si tu te rappelles, si tu te persuades intimement que tu n’es armé du glaive de la parole de Dieu que pour délivrer ton frère des vices qui font assaut sur lui. Si cependant, ce qui n’est pas rare, après avoir entrepris avec amour et après avoir commencé avec un cœur tout pénétré d’affection, cet acte de charité, il s’est élevé en toi durant l’action même, et pendant que le malade te résiste, un sentiment qui te détourne de la pensée de le guérir et qui t’irrite plutôt contre lui-même, répands ensuite des larmes pour laver cette tache, et souviens-toi bien, ce qui est fort salutaire, qu’il faut d’autant moins nous enorgueillir à la vue des péchés d’autrui, que nous en faisons nous-mêmes en les reprenant, puisque la colère nous porte plutôt à la colère, que la misère à la compassion.
58. Que comprend la Loi du Christ[4] ? – « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la Loi du Christ » sans aucun doute la Loi de charité. Mais si aimer le prochain c’est accomplir la Loi ; si de plus les livres de l’ancien Testament recommandent avec instance cet amour du prochain[5], en qui saint Paul dit ailleurs que se résument tous les préceptes de la Loi[6] ; il s’ensuit évidemment que la partie même de l’Ecriture qui a été donnée à l’ancien peuple appartient à cette Loi du Christ, que le Christ est venu faire accomplir par la charité, puisque la crainte n’y suffisait pas[7]. Par conséquent c’est partout la même Écriture et partout le même précepte, prenant le nom d’ancien Testament, lorsqu’il pèse sur les esclaves aspirant à la possession des biens terrestres, et le nom de nouveau Testament, lorsqu’il relève les cœurs libres qui sont embrasés d’amour pour les biens éternels.

  1. Mt. 8, 3
  2. Rom. 6, 13
  3. 1 Pi. 3, 9
  4. Gal. 6, 2
  5. Lév. 19, 18
  6. Rom. 13, 8, 9
  7. Mt. 5, 1