Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/433

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59. Se défier des louanges[1]. —« Car si quelqu’un s’estime être quelque chose ; comme il n’est rien il s’abuse lui-même. » Ce n’est pas des flatteurs, c’est de lui-même plutôt qu’il est dupe ; puisqu’étant plus près de lui-même qu’ils ne le sont, il préfère se voir en eux plutôt qu’en lui Or, que dit l’Apôtre ? « Que chacun éprouve ses propres œuvres, et alors il trouvera sa gloire en lui-même et non dans un autre ; » en lui-même, dans le secret de sa conscience ; et non dans un autre, non dans celui qui le flatte. « Car chacun portera son fardeau. » Conséquemment ce ne sont pas tes flatteurs qui allégeront les charges de notre conscience plaise même à Dieu qu’ils n’y ajoutent pas, puisque trop souvent, pour ne pas restreindre en les offensant les louanges qu’ils nous donnent, nous négligeons de les guérir en les reprenant, ou même nous étalons avec jactance devant eux quelques-uns de nos avantages, plutôt que de les montrer dans notre vie par la constance. Je ne dis rien ici des mensonges ni des inventions qu’on fait sur son propre compte pour s’attirer des louanges humaines. Est-il rien de plus ténébreux que cet aveuglement ? Comment ! chercherà tromper4es hommes pour obtenir une gloire si vaine ! cen'est pas tenir compte de Dieu dont le regard plonge dans le cœur. Y a-t-il même aucune comparaison à établir entre l’erreur de cet homme qui te croit bon, et l’égarement auquel tu t’abandonnes lorsque tu cherches à lui plaire par des vertus imaginaires, tout en déplaisant à Dieu par des défauts trop réels ?
60. On doit le nécessaire à l’Apôtre[2]. – Le reste me paraît très facile à expliquer. L’ordre donné au fidèle d’assurer le nécessaire au prédicateur qui lui annonce la parole de Dieu, revient souvent en effet. Mais il fallait exciter les Galates à multiplier les bonnes œuvres, à servir le Christ dans sa pauvreté, afin d’être un jour à sa droite avec les agneaux, à faire plus enfin pour l’amour de la foi, qu’ils n’avaient pu faire par crainte de la Loi. Or personne n’était plus à même que l’Apôtre de rappeler avec assurance ce devoir, puisqu’il vivait du travail de ses mains[3], et qu’il ne voulait pas qu’on accomplit en sa faveur cette obligation ; montrant ainsi avec plus d’autorité, qu’il avait plus en vue l’avantage de ceux qui donneraient que l’utilité de ceux qui recevraient.
61. L’éternelle moisson[4]. — S’il ajoute ensuite : « Ne vous y trompez pas : on ne serit point de Dieu » c’est qu’il sait combien d’affreux propos on entend de la bouche des hommes qui se perdent, lorsqu’on vit dans la foi aux choses invisibles ; lorsque tout en voyant les bonnes œuvres que l’on sème, on ne voit pas la moisson qu’elles produisent. Ce qui est promis d’ailleurs, ce n’est pas une récolte de la nature des moissons de la terre, puisque le juste vit de la foi[5]. « Celui, dit l’Apôtre, qui aura semé dans sa chair, en recueillera la corruption. » Ceci s’applique à ceux qui aiment les plaisirs plus qu’ils n’aiment Dieu. Car c’est semer dans la chair que de ne rien faire, même ce qui paraît bien, que dans le dessein de procurer le bien-être au corps. « Mais celui qui sème clans l’esprit, en recueillera la vie éternelle. » Semer dans l’esprit, c’est faire avec foi et charité ce que demande la justice, sans suivre les désirs coupables qui surgissent même du soin de ce corps mortel. Quant à la moisson de l’éternelle vie, elle aura lieu lorsque l’ennemie dernière, lorsque la mort sera détruite, lorsque ce corps mortel sera absorbé parla vie, lorsque, corruptible, il sera revêtu d’incorruptibilité. Maintenant donc qu’en vivant sous la grâce nous sommes au troisième degré de vie ; nous semons dans les larmes, en ne consentant pas, en résistant aux désirs que soulève en nous le corps animal, afin de moissonner dans la joie au moment où ce corps étant transfiguré, nous n’éprouverons plus, de la part de qui que ce soit, ni chagrin ni danger. Car notre corps lui-même est considéré comme une semence. « Il est semé corps animal » dit ailleurs le même Apôtre ; mais c’est pour ajouter, comme allusion à la moisson : « Il ressuscitera corps spirituel[6]. » Pensée déjà exprimée par ces mots d’un prophète : « Qui sème dans les larmes, moissonnera dans la joie[7]. » Cependant il est plus facile de bien semer, c’est-à-dire de bien commencer, que de persévérer dans le bien. La récolte en effet encourage à travailler ; ruais c’est pour ta fin seulement de notre vie qu’on nous promet la récolte ; il faut donc de la persévérance. Aussi, « quiconque persévérera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé.[8] » Un prophète crie également : « Attends le Seigneur, et agis avec courage ; fortifie-toi le cœur et attends le Seigneur[9]. » C’est ce qu’enseigne

  1. Gal. 6,3-5
  2. Id. 6, 6
  3. Act. 18, 3 ; 20, 34 ; 1 Cor. 4, 2 ; 1 Thess. 2, 9 ; 2 Thess. 3, 8
  4. Gal. 6, 7-10
  5. Hab. 2, 4
  6. 1 Cor. 15, 26, 44
  7. Ps. 125, 5
  8. Mt. 10, 22
  9. Ps. 26, 14