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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/124

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SERMON XXVII. PRÉDESTINATION ET RÉPROBATION[1].

ANALYSE. – Ce mystère ne doit point nous scandaliser. En effet, 1° tous les hommes ont mérité d’être réprouvés ; comment donc accuser Dieu de ce qu’il sauve une partie d’entre eux ? 2° D’où vient en nous l’idée de justice que froisse la réprobation ? N’est-ce pas de Dieu, la justice absolue ? Comment la justice absolue pourrait-elle être injuste ? 3° Dieu n’a pas révélé aux hommes tous ses secrets, il ne les a même pas révélés à ses Apôtres. Comment donc nous étonner de ne pas tout comprendre ? Croyons fermement qu’il ne peut être injuste. 4° Nous comprendrons au ciel pourquoi la diversité de sa conduite. Nous admirerons tout avec ravissement sans vous choquer de rien. 5° Maintenant donc confessons notre ignorance et ne cherchons pas à comprendre l’incompréhensible.


1. Comme la porte introduit dans une demeure, ainsi le titre du psaume en donne l’intelligence. Or, voici ce qu’on lit en tête : « Lorsqu’on bâtissait la maison après la captivité. » De quelle maison s’agit-il ici ? Le psaume te l’indique bientôt : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau ; toute la terre, chantez au Seigneur. » Voilà de quelle demeure il est question. Lorsque truite la terre chante le cantique nouveau, elle est la maison de Dieu. Cette maison se bâtit, en chantant, elle se fonde sur la foi, elle s’élève sur l’espérance, elle s’achève par la charité. Maintenant donc on la construit, mais on n’en fera la dédicace qu’à la fin des siècles. Accourez donne, pierres vivantes, pour chanter le cantique nouveau, accourez et laissez-vous tailler pour servir au temple de Dieu ; reconnaissez le Sauveur, recevez-le pour habiter dans vos murs.
2. Nous avons dit de quelle maison il s’agit ; disons aussi de quelle captivité. Voici comment le psaume l’indique, suis-moi un peu : « Chantez au Seigneur le cantique nouveau ; toute la terre, chantez au Seigneur. Chantez au Seigneur, bénissez son nom ; annoncez de jour en jour son salut. Annoncez ses merveilles au milieu des nations, publiez sa gloire parmi tous les peuples ; car tous les dieux des gentils sont les démons. » Ainsi ce sont les démons qui retenaient la maison dans les ténèbres et la captivité. En effet, depuis le premier péché du premier homme, le genre humain tout entier naissait asservi au péché, et le démon vainqueur le tenait dans ses fers. Car si nous n’étions captifs, nous n’aurions aucun besoin d’un Rédempteur : Sans être captif le Rédempteur est venu au milieu des captifs ; il est venu pour racheter les captifs sans avoir en lui rien qui ressentit l’esclavage, c’est-à-dire, sans avoir aucune iniquité, et portant notre rançon dans sa chair mortelle. S’il n’avait une chair mortelle, comment le Verbe pourrait-il répandre du sang pour notre délivrance ? Il est venu à nous avec une chair semblable à la chair de péché, non pas avec la chair même du péché [2]. Sa chair était en effet semblable à celle du péché ; chair véritable, mais semblable seulement à la chair du péché ; chair réelle, mais non chair du péché. Or qu’était celui qui est venu de cette manière ? « Annoncez de jour en jour. » Voilà qui le fait connaître. Il était de jour en jour, il était Dieu de Dieu, lumière de lumière. Mais ce Verbe de Dieu s’est fait chair pour habiter parmi nous[3] ; il a voilé sa majesté et fait paraître sa faiblesse afin de détruire la faiblesse et de conserver la majesté.
3. Le monde entier étant ainsi dans les fers, qu’y a-t-il à reprendre dans ces paroles : « J’aurai pitié de qui j’aurai pitié, et je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde ? » En effet si le monde entier était captif, si le monde entier était sous le joug du péché, si le monde entier était justement destiné au supplice, et que par miséricorde une partie en sont délivrée, qui osera dire à Dieu : Pourquoi condamnez-vous le monde ? Comment accuser le Juge suprême de condamner le monde coupable ? Tu es coupable, tu ne dois plus t’attendre qu’au châtiment, et Éon aurait tort d’adresser des reproches au bourreau qui t’inflige un supplice mérité. Qu’on le réprimande s’il te fait subir ce que tu ne dois pas endurer ; mais quel que soit ton désir d’obtenir grâce, qui le blâmera quand il te frappe comme tu dois être frappé ?« Il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut. C’est pourquoi tu me dis : De quoi se plaint-il encore ? Car qui résiste à sa volonté ? O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu ? » Considère ce qu’est Dieu ; considère ce que tu es. Dieu est Dieu, tu es un homme. Tu crois avoir la

  1. Ps. 95, 1
  2. Rom. 8, 8, 3
  3. Jn. 2, 14