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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/125

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justice pour toi ; mais est-ce que cette divine source de justice est tarie ? Si tu parles juste, par la grâce de qui ? Donc ou tu ne dis pas juste et tu dois te taire ; ou tu dis juste et tu en es redevable à la source même de la justice. Or Dieu n’est-il pas cette source de justice ? Établis donc comme premier fondement de ta foi : « Y a-t-il en Dieu de l’injustice [1] ? » Il est possible que tu ne voies pas sa justice : mais il ne saurait être injuste.
4. Tu attends peut-être que je t’explique pourquoi « il a pitié de qui il veut et endurcit qui il veut ? » Tu l’attends de moi, ô homme. Tu es homme et je suis homme : donc écoutons l’un et l’autre : « O homme qui es-tu pour contester avec Dieu ? » Mieux vaut une ignorance fidèle que la science présomptueuse. C’est Dieu qui me dit, c’est le Christ qui me dit par la bouche de l’Apôtre : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu ? » Et je me fâche de ne pas connaître la justice de Dieu ! Si je suis homme, je ne dois pas me fâcher. Que je m’élève, si je le puis, au-dessus de l’homme, et que j’atteigne à la source. Mais si j’y atteins, je ne révélerai rien à l’homme ; qu’il s’élève comme moi et y atteigne avec moi. – Mais quel est l’homme qui peut s’élever au-dessus de l’homme ? — Ignores-tu donc ce reproche adressé par l’Apôtre à quelques-uns : « Puisque l’un dit : moi je suis à Paul ; et l’autre : moi à Apollo, n’êtes-vous pas des hommes[2] ? » Que voulait-il faire d’eux en leur reprochant d’être des hommes ? Homme tu appartiens à Adam, appartiens au Fils de l’homme.
5. Le Fils de l’homme te dit peut-être : « Je ne vous appellerai plus serviteurs, mais amis parce que je vous ai fait connaître ce que j’ai appris de mon Père[3]. » Mais c’est à ses Apôtres, c’est à ses premiers disciples qu’Il adressa ce langage et nous ne devons point nous attrister de n’être pas encore ce qu’ils étaient alors. Dans quel sens néanmoins leur a-t-il dit à eux-mêmes : « Je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père ? » Je crois qu’il leur parlait de l’espérance plutôt que de la réalité ; il leur disait, me semble-t-il, plutôt ce qu’il ferait que ce qu’il avait fait. Comment prouver cette opinion ? Il dit expressément : « Je vous ai fait connaître ; » et non : Je vous ferai connaître.C'est qu’il est dans l’Écriture des choses qui se disent au, passé et qui se doivent entendre de l’avenir. Comment se disent-elles du passé quand elles doivent s’entendre de l’avenir ? « Ils ont creusé mes mains et mes pieds, dit le prophète, ils ont compté tous mes os [4]. » Ce fait n’était pas accompli encore, il devait seulement s’accomplir, et pourtant on l’annonçait comme étant passé. Il nous a sauvés par le baptême de la régénération[5]. » Ailleurs encore le même Apôtre dit « C’est en espérance que nous avons été sauvés ; or l’espérance qui, se voit n’est pas de l’espérance. – Nous avons été sauvés par espérance ; » voilà le passé : mais parce que ce salut n’est qu’en espérance, sans être encore réalisé, c’est sur l’avenir que nous comptons. Nous voyons, nous possédons déjà ; mais l’espérance et non la réalité. « Car ce que l’on voit, comment l’espérerait-on ? Et si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience[6]. » Ainsi nous sommes sauvés, et néanmoins nous espérons, nous attendons encore le salut sans le posséder.C'est dans le même sens que le Seigneur dit à ses disciples : « Je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père. » S’il l’avait fait connaître réellement, aurait-il dit ailleurs : J’ai encore beaucoup de choses à vous dire ; « mais vous ne les pouvez porter à présent ?[7]. » Oui, « Je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père », mais en ajoutant : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire ; et vous ne les pouvez porter à présent », le Sauveur n’ôte pas, il ajourne. L’espérance était donc sûre, il savait que sans aucun doute il accomplirait sa promesse ; l’avenir était pour lui aussi certain que le passé, et Il disait pour ce motif : « Je vous ai fait connaître. »
6. Ainsi donc, « pendant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons loin du Seigneur ; car c’est par la foi que nous marchons et non par la claire vue[8]. » Attachons-nous à la foi autant qu’il nous est accordé de le faire, et ne révoquons point en doute la justice de Dieu. Ne croyons aucunement qu’il y ait en lui de l’injustice : ce serait notas exposer à tomber dans le gouffre profond de l’impiété. Et lorsque nous croirons fermement qu’il n’y a point en lui d’injustice, ne soyons pas inquiets de ne pas voit encore sa justice. Achevons notre course, allons à la patrie, nous verrons au temps de la claire vue ce qui rie se peut voir au temps de la foi. Nous marchons en effet maintenant par la foi. Nous marcherons alors par la claire vue. Qu’est-ce à dire par la claire vue ? (per speciem, en beauté ?) « Vous l’emportez en beauté sur

  1. Rom. 9, 14-20
  2. 1 Cor. 3, 4
  3. Jn. 15, 15
  4. Ps. 21, 17-18
  5. Tit. 3, 5
  6. Rom. 8, 24-25
  7. Jn. 16, 12
  8. 2 Cor. 5, 6, 7