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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/132

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veux. » Toi aussi ne voudrais-tu pas ne sentir aucunement la convoitise qui se raidit contre la loi de l’esprit ? Tu désirerais le mal si tu ne souhaitais d’être délivré d’un tel ennemi. Pour moi, je te l’avoue, je veux sans réserve immoler tout ce qui se révolte en moi contre mon esprit, tout ce qui m’oppose des délectations qu’il condamne. Si par la grâce du Seigneur je n’y donne pas mon consentement, je voudrais encore n’avoir plus à combattre. J’aimerais infiniment mieux n’avoir pas d’ennemi que de vaincre. Car je ne saurais considérer comme m’étant étranger ce combat de la chair contre l’esprit, et ne suis-je pas violemment poussé par une nature ennemie ? Cette nature qui me pousse et la résistance que je fais sont à moi l’une et l’autre. Mon esprit tant soit peu libre se raidit contre des restes d’esclavage. Mais je voudrais que tout en moi fut guéri, parce que tout cela c’est moi-même. Je ne veux pas que ma chair soit éternellement séparée de moi comme si elle m’était étrangère, je veux qu’elle soit tout entière guérie avec moi. Si tu n’as point le même désir, que penses-tu de ta chair ? Tu la crois donc un je ne sais quoi qui vient de je ne sais où, de je ne sais quelle puissance ennemie ? Idée fausse, hérétique, véritable blasphème. Un même ouvrier a formé ta chair et ton esprit ; lui-même en créant l’homme, a fait l’une et l’autre, les a unis ensemble, soumettant la chair à l’âme et l’âme à lui-même. Si l’âme était demeurée soumise à Dieu, le corps serait resté soumis à l’âme. Ainsi ne t’étonne pas si celle-ci après avoir abandonné son Seigneur est châtiée par son propre sujet. « Car la chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair ; ils sont opposés l’un à l’autre, en sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez [1]. » De là aussi cette parole de l’Apôtre : « Je ne fais pas ce que je veux. » Ma chair convoite contre mon esprit, et je ne voudrais pas de cette convoitise ; c’est pour moi un grand bien de n’y pas consentir, je souhaite néanmoins de ne la pas ressentir. Ainsi « je ne fais pas ce que je veux : » je veux que la chair ne convoite pas contre l’esprit, et je ne puis l’obtenir ; voilà ce que signifie : « Je ne fais pas ce que je veux. »
5. Pourquoi contester ici ? Je te dis que « je ne fais pas ce que je veux ; » et tu prétends que je fais ce que je veux ! » Pourquoi contester ? Ingrat envers ton Médecin, pourquoi contrarier un malade ? Laisse-moi prier ce Médecin et lui dire : « Délivrez-moi des calomnies des hommes, et je pratiquerai votre loi [2]. » Je la pratiquerai avec votre grâce, non avec mes seules forces. En implorant le médecin, je ne m’arroge point la santé que je n’ai pas encore. Pour toi, défenseur de la nature, et plût à Dieu que tu la défendisses véritablement, non en soutenant qu’elle est saine, puisqu’elle ne l’est pas, mais en réclamant pour elle le secours qui peut la guérir ! pour toi donc, défenseur, ou plutôt ennemi de la nature, ne vois-tu pas qu’en louant le Créateur de son intégrité, tu empêches le Sauveur de prendre pitié de ses langueurs ? À celui qui l’a créé il appartient de la guérir ; elle tombe par elle-même, et lui-même la relèvera. Telle est la foi, telle est la vérité, tel est le fondement de la religion chrétienne. Un homme d’une part et d’autre part un homme ; un homme l’a renversée, un autre homme la reconstruira ; le premier l’a abattue, le second la rétablira ; le premier est tombé en ne demeurant pas fidèle ; le second n’est pas tombé et il relève. L’un s’est brisé en quittant Celui qui demeurait et l’autre en demeurant, est descendu vers ces ruines.
6. Si donc la chair convoite contre l’esprit, et si tu ne fais pas ce que tu veux, puisque tu veux en vain la cessation de cette lutte ; tiens au, moins ta volonté attachée à la grâce du Seigneur, et persévère avec son secours ; répète ce que tu as chanté : « Dirigez mes pas selon votre parole, et ne souffrez pas que je sois dominé par aucune injustice. » Que signifie : « Ne souffrez pas que je sois dominé par aucune injustice ? » Écoute l’Apôtre : « Que le péché, dit-il, ne règne pas dans votre corps mortel. » Qu’est-ce à dire : « Ne règne pas ? Pour vous faire obéir à ses convoitises. » Il ne dit pas : N’aie aucun mauvais désir ; comment en effet n’en avoir point dans cette chair mortelle où la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ? Applique-toi donc à empêcher le péché de régner dans ton corps mortel et à n’obéir pas à ses désirs. S’il est en toi de ces désirs, n’y cède point, ne te laisse pas dominer par l’iniquité.« N’abandonnez pas non plus vos membres au péché, comme des instruments d’iniquité[3]. » Que tes membres ne deviennent pas des instruments d’iniquité ; et ne te laisse dominer par aucune injustice. Mais cette préservation même, peux-tu l’obtenir par tes propres forces ? Lorsque tes

  1. Gal. 5, 17
  2. Ps. 118, 184
  3. Rom. 6, 12-13