Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/131

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avons entendue et ce que nous avons demandé nous-mêmes en nous unissant à celui qui la faisait. Je le crois en effet, nous suivions tous avec dévotion et fidélité le mouvement du psaume sacré lorsqu’en priant nous avons dit au Seigneur notre Dieu : « Dirigez mes pas selon voue parole, ne souffrez pas que je sois dominé par aucune injustice. » C’est le sang précieux du Rédempteur qui nous a affranchis de la domination de cette horrible maîtresse. Que nous servaient les ordres et les menaces de la loi que nous avions reçue, puisqu’elle ne nous aidait pas et que sous son empire et avant la grâce du Sauveur, nous n’étions pas moins coupables ? La loi menace en vain, quand l’iniquité domine. Car la loi n’est ni corporelle, ni charnelle : le divin Législateur étant esprit, la loi sans aucun doute est une loi spirituelle. Or que dit l’Apôtre ? « Nous savons que la loi est spirituelle ; pour moi je suis charnel, vendu comme esclave au péché [1]. » O homme vendu et asservi au péché, ne t’étonne pas d’être dominé par le péché à qui tu appartiens. Écoute l’Apôtre Jean : « Le péché est une injustice :[2] » mais c’est contre cet affreux tyran que nous implorons le Seigneur quand nous lui disons : « Dirigez mes pas suivant votre parole ; ne souffrez pas que je sois dominé par aucune injustice. »
2. C’est l’esclave vendu qui crie ainsi : ah ! que le Rédempteur daigne l’exaucer. L’homme lui-même s’est vendu par son libre arbitre pour être asservi à l’iniquité, et ce qu’il a reçu en échange est le misérable plaisir d’avoir touché à l’arbre défendu. Aussi c’est ce même homme qui crie : Redressez ma voie ; je l’ai courbée : « Dirigez mes pas ; » je les ai égarés par mon libre arbitre « selon votre parole ; » qu’est-ce à dire : « selon votre parole ? » Que mes pieds marchent droit comme est droite votre parole. Je suis courbé sous le poids de l’injustice ; mais votre parole est la règle de la vérité : redressez-moi selon la règle, c’est-à-dire selon la droiture de votre parole. « Dirigez mes pas selon votre parole ; ne souffrez pas que je sois dominé par aucune injustice. » Je me suis vendu, rachetez-moi ; je me suis vendu avec ma liberté, rachetez-moi avec votre sang. Confondez l’orgueil du vendeur ; glorifiez la grâce du Rédempteur : car Dieu résiste aux superbes, tandis qu’il donne sa grâce aux humbles[3].
3. « La loi est spirituelle ; et moi je suis charnel, vendu comme esclave au péché ; car je ne comprends pas ce que je fais et je ne fais pas ce que je veux. » – « Je ne fais pas ce que je veux », dit l’homme charnel : ce n’est pas la loi, c’est lui-même qu’il accuse. Car la loi est spirituelle, exempte de tout vice ; et l’homme charnel qui s’est vendu est un homme coupable. Il ne fait pas ce qu’il veut ; quand il veut, il ne peut, parce qu’il n’a pas voulu lorsqu’il pouvait. En voulant le mal il a perdu le pouvoir de faire le bien ; aussi est-il captif quand il dit, captif quand il s’écrie : « Je ne fais pas ce que je veux : car le bien que je veux, je ne le fais pas, et je hais le mal que je fais [4]. » « Je ne fais pas ce que je veux », dit l’Apôtre. Tu le veux au moins, réplique son adversaire. – « Je ne fais pas ce que je veux. » – Au contraire tu fais absolument ce que tu veux. – « Non, je ne fais pas ce que je veux ; » crois-moi, frère, « je ne fais pas ce que je veux. » — Ah ! tu le ferais si tu voulais : si tu ne fais pas le bien, c’est que tu ne le veux pas. — « Non, je ne fais pas ce que je veux ; » crois-moi, je sais ce qui se passe en moi-même ; « je ne fais pas ce que je veux. » Ennemi de la grâce, tu n’es pas l’arbitre de ma conscience. Je sais que je ne fais pas ce que je veux, et tu oses me dire que je fais ce que je veux ! Nul ne sait ce qui se fait dans un homme si ce n’est l’esprit de cet homme qui est en lui[5].
4. Toi aussi, tu es un homme, et si tu ne veux pas m’en croire, regarde en toi-même. Dans ce corps corruptible qui appesantit l’âme[6], vis-tu sans sentir que la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ? Cette lutte n’est-elle pas en toi ? N’y a-t-il aucune concupiscence charnelle qui résiste à la loi de l’esprit ? S’il n’y a point de partage en toi, où es-tu tout entier ? Si ton esprit ne lutte pas contre les concupiscences de la chair, n’est-ce point parce que ton âme s’y livre tout entière ? S’il n’y a point guerre en toi, n’est-ce point parce que tu as fait une paix honteuse ? Oui, c’est peut-être parce que tu te livres entièrement à la chair qu’il n’y a en toi aucune lutte. Et comment espérer de pouvoir remporter la victoire quand tu n’as pas même essayé de combattre ? Mais si tu te complais dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur et que tu voies dans tes membres une autre loi qui combat la loi de ton esprit[7] ; si la première te charme et que tu sois enchaîné par la seconde, libre dans Ion âme, tu es esclave dans ton corps ; dans ce cas, compatis plutôt au malheureux qui s’écrie : « Je ne fais pas ce que je

  1. Rom. 7, 14
  2. 1 Jn. 5, 17
  3. Jac. 4, 6
  4. Rm. 7,13-19
  5. 1 Cor. 2, 11
  6. Sag. 9, 16
  7. Rom. 7, 22-23