Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Qu’ils donnent aisément, qu’ils partagent ; » on dirait qu’arrosée d’eau froide elle se raidit et se serre le sein en disant : Je ne perds pas, moi, le fruit de mes travaux infortunés, tu ne veux pas perdre le fruit de tes travaux ; mais tu mourras ; tu n’as rien apporté dans ce monde, tu ne saurais non plus en rien emporter ; et n’en rien emporter, n’est-ce pas perdre le fruit de tous tes travaux ? Écoute donc le conseil de Dieu, même. Ne t’effraie point d’avoir entendu : « Qu’ils donnent aisément, qu’ils partagent. » Écoute encore ce qui suit, attends, ne me ferme pas la porte ni l’entrée de ton cœur, attends. Veux-tu savoir qu’en donnant aisément, qu’en partageant tu ne perdras pas et que même tu ne conserveras que ce que tu auras donné ? « Qu’ils s’amassent, est-il dit ensuite, un trésor qui soit pour l’avenir un solide fondement, afin d’acquérir la vie éternelle[1] », Elle est donc fausse cette vie qui te charme ; tu vis ici comme dans un songe. Si cette vie est un songe, la mort en sera le réveil ; qu’auras-tu alors dans les mains ? Vois-tu dormir ce mendiant ? Il voit en songe un héritage lui advenir, rien n’est plus heureux que lui avant le réveil. Il croit avoir au moins de riches vêtements, des vases précieux, d’or et d’argent ; il croit prendre possession de beaux et vastes domaines et voir à ses pieds de nombreuses familles : mais il s’éveille et pleure ; il accuse celui qui l’a éveillé comme nous accuserions celui qui nous aurait dépouillés. Un psaume parle manifestement de ceci. « Ils ont dormi leur sommeil, dit-il, et tous ces hommes de richesses n’ont rien trouvé dans leurs mains[2] », après s’être éveillés.
6. Ainsi donc tu n’emporteras rien, puisque tu n’as rien apporté. Veux-tu ne rien perdre ? Envoie là-haut ce que lu as rencontré ; donne au Christ, car le Christ consent à recevoir ici. Donne au Christ et tu ne perdras pas. Tu ne perds point en confiant à ton esclave ce que tu as gagné ; et tu perdrais en confiant à ton Seigneur ce que tu as reçu de lui-même ? Le Christ veut bien être ici dans l’indigence ; mais c’est à cause de nous. Il pouvait nourrir tous ces pauvres que vous voyez, comme il a nourri Élie, par le ministère d’un corbeau. Cependant il a ôté le corbeau à Élie même en faisant nourrir ce prophète par une veuve, c’est une grâce qu’il accordait non à Élie mais à cette veuve [3]. Ainsi donc, quand pieu fait des pauvres, en ne voulant pas qu’ils possèdent, quand Dieu fait des pauvres, il éprouve les riches, car il est dit : « Le pauvre et le riche se sont rencontrés. » Où se sont-ils rencontrés ? Dans cette vie. L’un est né, l’autre aussi, ils se sont trouvés, ils se sont rencontrés. Et qui les a faits tous deux ? Le Seigneur[4]. Il a fait le riche pour aider le pauvre, et le pauvre pour éprouver le riche. Que chacun agisse selon ses moyens ; nous ne disons pas qu’on aille jusqu’à se mettre à la gêne. C’est ton superflu dont un autre a besoin. Vous avez entendu tout à l’heure, quand on lisait l’Évangile : « Quiconque donnera à l’un de ces petits un verre d’eau froide à cause de moi, ne perdra point sa récompense[5]. » Le Sauveur met en vente le royaume des cieux et il l’adjuge pour un verre d’eau froide. Mais c’est quand celui qui fait l’aumône est pauvre qu’il doit verser des charités de verre d’eau froide. Celui qui a plus doit donner davantage. Cette veuve donna deux oboles[6] ; Zachée donna une moitié de tous ses biens, et il réserva l’autre moitié pour réparer ses injustices[7].L’aumône profite à qui a chante de vie. Quand en effet tu donnes au Christ indigent, c’est pour racheter tes péchés passés. Car si tu donnais pour obtenir de pouvoir pécher toujours impunément, ce ne serait point nourrir le Christ ; ce serait essayer de corrompre ton juge. Faites donc l’aumône pour demander que vos prières soient exaucées et que Dieu vous aide à améliorer votre vie. Oui, en changeant de vie, améliorez votre vie, afin d’obtenir, par vos aumônes et vos prières, que vos péchés soient effacés et que vous parveniez aux biens à venir et éternels.

  1. 1 Tim. 6, 7-19
  2. Ps. 75, 6
  3. 1 R. 17, 6
  4. Prov. 22, 2
  5. Mt. 10, 42
  6. Mc. 12, 42
  7. Lc. 19, 8