Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/18

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d’Ésaü et de Jacob, les deux, fils d’Isaac ; rappelez-vous comment le plus jeune fut préféré à l’aîné[1], et pour être avec Jacob n’aimez point Esaü. Ce serait être Esaü que de vouloir vivre charnellement ou d’espérer les biens charnels pour le siècle futur. Ainsi donc vivre charnellement, aimer dans le temps ou espérer de Dieu ce qu’il accorde même aux méchants, mettre toute sa félicité dans ce qui fait la joie des pécheurs, ou le mépriser maintenant pour se le promettre dans l’avenir, c’est être charnel, avoir une foi charnelle, une charnelle espérance et une charité charnelle. La foi spirituelle, c’est croire que ton Dieu te protège dans le temps afin de t’aider à parvenir à ce que le temps ne connaît pas ; c’est espérer que tu vivras de la vie des anges loin des souillures du corps, loin des voluptés et des plaisirs, loin de l’impureté et de l’ivresse et des banquets de chair, loin encore de l’orgueil que donnent les richesses et les dignités de la terre, en un mot, de la seule vie des Anges.
4. Or la vie des Anges c’est la joie qu’ils puisent dans le Créateur et non dans la créature. La joie de la créature, c’est tout ce qui se voit ; la joie du Créateur, c’est tout ce qui ne se voit pas des yeux du corps, mais uniquement avec le regard purifié de l’esprit. « Heureux les cœurs purs ! » Pourquoi sont-ils heureux ? « Parce qu’ils verront Dieu.[2] » Ne croyez donc pas, mes frères, que la joie des Anges vienne de ce qu’ils voient la terre, le ciel ou ce qui s’y trou. Non, ils ne se réjouissent pas de voir le ciel et la terre, mais de voir Celui qui a fait et le ciel et la terre.


5. Au reste Celui qui a l’ait le ciel et la terre n’est lui-même ni le ciel ni la terre ; il n’est rien de ce que l’on peut se figurer de terrestre ou de céleste, rien de ce que tu peux imaginer de corporel ou de spirituel. Dieu n’est pas cela. Ne te le représente pas non plus comme un homme qui serait à la fois grand et beau ; car Dieu.n'est circonscrit dans aucune forme humaine ; aucun lieu ne le contient, aucun espace ne le renferme. Qu’il ne t’apparaisse pas comme un Dieu d’or : Dieu n’est pas cela : n’est-ce pas lui qui a fait cet or dont, tu voudrais le former lui-même ? Ce métal est trop vil puisqu’il est dans la terre. Ne conçois Dieu comme rien de ce que tu vois au ciel, rien comme la lune, le soleil, les astres, rien de ce qui brille et resplendit au-dessus de nous. Ce serait t’éloigner de la vérité. Mais ne crois pas non plus que si Dieu ne ressemble point au soleil, c’est que le soleil est limité comme un cercle au lieu d’être un espace illimité de lumière ; ne te dis pas : Dieu est au contraire une lumière immense, infinie ; n’élargis pas en quelque sorte le soleil jusqu’à faire qu’il soit sans bornes, ici et, là, au-dessus et au-dessous de nous : n’estime pas que Dieu soit quelque chose de semblable, il n’est rien de cela. Dieu sans doute habite une lumière inaccessible[3] ; mais cette lumière n’est ni un cercle ni perceptible à l’œil de chair.
6. Peux-tu voir ce que c’est que la vérité, que la sagesse, que la justice ; dans quel sens il est dit : « Approchez de lui et soyez éclairés[4] » quelle est cette vraie lumière dont Jean a écrit « Il était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde ; » de quelle manière Jean-Baptiste n’était pas lui-même cette lumière véritable, puisque l’Évangéliste Jean dit de lui : « Il n’était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière[5] ? » Jean-Baptiste n’est pas le seul dont on puisse parler ainsi : Paul n’était pas la vraie lumière, ni Pierre, ni aucun des autres apôtres ne l’étaient non plus. En effet « la vraie lumière » est celle qui « éclaire tout homme venant en ce monde. » Or si les apôtres étaient des lumières ce n’était que des lumières allumées. On dit aussi que nos yeux sont des lumières, et chacun jure : Par mes lumières. Mais que sont ces lumières ? Elles demeurent dans les ténèbres quand il n’y a ni soleil ni lune ni tout autre flambeau. Puisqu’ils sont des lumières, qu’ils regardent en avant, qu’ils dirigent notre marche ! Sont-ils donc des lumières ? Ils sont néanmoins des lumières. Pourquoi ? Parce qu’ils peuvent recevoir la lumière. Qu’on apporte un flambeau, ni ton front ne le voit, ni ton oreille, ni l’odorat, ni la main, ni le pied : il n’y a en toi, pour voir ce flambeau, que les organes appelés lumières. Quand la lumière disparaît, ils tombent dans les ténèbres ; quand on l’approche, seuls ils la voient, ils la sentent seuls. Les autres organes sont aussi éclairés, mais pour être visibles et non pour voir. Car la lumière qui se lève ou que l’on apporte se répand sur tous les membres, sur les yeux pour qu’ils voient, sur les autres membres pour qu’ils soient vus. C’est ainsi que tous les saints ont été éclairés pour voir et prêcher ce qu’ils voyaient. De là cette parole : « Vous êtes

  1. Gen. XXV-XXVII
  2. Mt. 5, 8
  3. 1 Tim. 6, 16
  4. Ps. 33, 6
  5. Jn. 1, 8-9