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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/212

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tribulations de cette vie. Car le troupeau dont on fait partie n’est pas sous la garde d’un berger que puissent déchirer les loups ou surprendre les voleurs pendant son sommeil. À qui est-il dit : « Vous êtes le pasteur d’Israël [1] ? » sinon à Celui de qui il est dit encore : « Jamais ne dort ni ne sommeille le Gardien d’Israël[2] ? » Soit donc que nous veillions, soit que nous dormions, toujours il veille sur nous ; et si les troupeaux ordinaires sont en sûreté sous la garde d’un homme, quelle doit être notre sécurité, puisque nous sommes sous la houlette de Celui qui est à la fois notre pasteur et notre père ?
4. Nous ne devons avoir qu’un soin, le soin d’entendre sa voix ; nous sommes au temps de l’écouter puis qu’il n’a point fait paraître encore le temps de nous juger. Aujourd’hui en effet il parle et se tait ; il parle en commandant, il se tait en jugeant. Aussi dit-il quelque part : « J’ai gardé le silence ; le garderai-je toujours[3] ? » Comment a-t-il gardé le silence, puisqu’il ne peut l’affirmer qu’en parlant ? Il ne se tait pas en disant qu’il se tait, puisque le dire c’est rompre le silence. Je vous écoute donc, Seigneur, car c’est vous qui me parlez par tant de préceptes et de sacrements, par tant de pages et un si grand nombre de livres ; je vous écoute jusque dans ces paroles : « J’ai gardé le silence, le garderai-je toujours ? » Comment lavez-vous gardé ? En ne disant pas encore aux uns : « Venez, bénis de mon Père, prenez possession du royaume, » ni aux autres : « Allez maudits, au feu éternel qui fut préparé pour le diable et pour ses anges[4]. » Maintenant même que je prononce ces mots, je ne les dis pas solennellement comme je le ferai un jour. Lorsqu’un juge doit rendre un arrêt définitif, lorsqu’il doit écrire sur les tablettes une sentence dernière, les parties ne l’entendent pas, elles sortent pendant qu’il écrit son jugement. Émues et inquiètes, elles se demandent, qui sera absous, qui sera condamné. C’est le secret du juge, aussi appelle-t-on secretarium ce lieu où il délibère, et la grande préoccupation des parties vient de ce qu’elles ignorent ce qu’il pense, ce qu’il écrit. Il n’est qu’un homme cependant et ceux qu’il juge ne sont que des hommes comme lui. Mais le Seigneur est notre Dieu, nous sommes le peuple de ses pâturages, les brebis de ses mains, et quoi qu’il soit notre créateur et nous sa créature, immortel et nous mortels, invisible et nous visibles, il n’a point voulu nous laisser ignorer durant cette vie la sentence suprême qu’il rendra à la fin. Or on ne dit pas : Je condamne, quand on veut condamner, ni : Je frappe quand on veut frapper.
5. Dieu montre donc une grande bonté, une grande compassion, une grande douceur ; mais nous ne devons point abuser de sa miséricorde pour nous corrompre, ni, puisqu’il supporte nos péchés, en augmenter le nombre, comme pour le charger davantage, sous prétexte qu’il ne souffre pas de la pesanteur de ce fardeau. Ces iniquités qu’il pardonne, qu’il tolère si longtemps, montrent sa patience et mettent le comble à notre culpabilité. « Ignores-tu, dit-il, que la patience de Dieu t’invite à la pénitence ? » C’est cette patience que le Prophète appelle silence quand il fait dire à Dieu : « J’ai gardé le silence, le garderai-je toujours ? » Aussi en censurant les coupables auxquels il dit : « Tu prêches de ne point dérober et tu dérobes ; tu déclares qu’il ne faut pas être adultère et tu commets l’adultère », il s’écrie : « Méprises-tu les richesses de sa bonté et de sa longanimité ? » Le crois-tu injuste, parce qu’il est bon, parce qu’il est patient, parce qu’il voit et se tait, parce qu’il voit et tolère ? « Ignores-tu que sa patience t’invite à la pénitence ? » Crois-tu, s’il se tait maintenant, qu’il se taira toujours ? « Par la dureté et l’impénitence de ton cœur, dit-il néanmoins, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres[5]. » Ainsi donc il se tait, mais se taira-t-il toujours ? Il dit dans le même sens, après avoir rappelé certains péchés : « Voilà ce que tu as fait et je « me suis-tu », en d’autres termes : Tu as fait cela et je ne t’ai point puni : « tu as iniquement soupçonné que je te serai semblable. » C’est en effet ce que plusieurs s’imaginent lorsqu’après avoir fait beaucoup de maux ils observent qu’ils n’en éprouvent aucun ; non contents de se plaire dans leurs crimes, ils croient que ces crimes plaisent à Dieu même ; l’impiété va si loin que l’impie contempteur s’imagine Dieu semblable à lui. En vain par ses avertissements, ses enseignements, ses exhortations et ses reproches Dieu l’appelle à sa divine ressemblance, loin de chercher à ressembler à Dieu il veut abaisser Dieu jusqu’à sa propre similitude. N’est-

  1. Ps. 79, 2
  2. Ps. 120, 4
  3. Is. 42, 14
  4. Mt. 25, 34-41
  5. Rom. 2, 4, 21, 5, 6