Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/236

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les indigents, de racheter les captifs, de construire des Églises, de soulager les fatigués, d’apaiser les querelles, de réparer les naufrages, de soigner les malades, de répandre sur la terre ses richesses matérielles et d’enfermer au ciel ses trésors spirituels ? Qui agit ainsi ? L’homme miséricordieux et bon. Par quel moyen ? Avec l’or et l’argent. Pour le service de qui ? De celui qui a dit : « L’or est à moi, l’argent est également à moi. » Maintenant donc, mes frères, vous voyez sans doute quel étrange aveuglement et quelle démente il faut pour reporter sur les choses dont on use mal le crime de ceux qui en abusent. Si on condamne l’or et l’argent, parce qu’il est des hommes corrompus par l’avarice qui au mépris des préceptes du Tout-Puissant s’attachent avec une passion détestable à ce qu’il a créé ; on doit mépriser aussi toutes les autres créatures de Dieu, car, dit l’Apôtre, il est des hommes pervers « qui ont adoré et servi la créature, de préférence au Créateur, béni dans les siècles[1] ; » on doit condamner jusqu’à ce soleil, puisque ne voyant pas en lui une créature les Manichéens ne cessent de l’honorer et de l’adorer soit comme le Créateur, soit comme une partie de lui-même. Mais pourquoi ne l’accusent-ils pas ? Ne voit-on pas souvent les procès les plus injustes occasionnés par le désir de donner aux appartements plus de soleil et de lumière ? Ne voit-on pas fréquemment renverser des maisons pour faire pénétrer plus librement et plus largement les rayons du soleil par les fenêtres ? Ne voit-on pas ceux qui s’y opposent, tout fondés qu’ils soient sur les droits les plus incontestables, poursuivis d’implacables inimitiés ? Si donc il arrive que pour obtenir plus de soleil un homme puissant opprime injustement et cruellement un homme faible, s’il le dépouille, s’il l’envoie en exil ou à la mort, est-ce la faute du soleil dont l’oppresseur cherche à profiter plus abondamment ? N’est-ce pas plutôt l’abus coupable qu’il en fait ? car en désirant pour ses yeux plus de lumière matérielle, il ferme à la lumière de la justice le secret de son cœur.
8. Ceci doit faire comprendre à ces sectaires, si néanmoins ils en sont capables, qu’il ne faut condamner ni l’or ni l’argent, quoique l’or et l’argent servent souvent de matière aux contestations d’hommes avides ; ou qu’ils doivent transporter leurs accusations de la terre au ciel, des métaux brillants aux étoiles et jusques au soleil, dont l’iniquité se dispute la lumière en se livrant à des haines souvent éternelles. Ils doivent apprendre aussi quelle distance sépare la lumière visible de l’invisible lumière de la justice. Il peut se faire en effet que plus on désire jouir de la première, plus on soit aveuglé en présence de la seconde. Rien de créé ne saurait justifier l’homme ; pour faire bon usage de toutes les ; créatures il a besoin d’être sanctifié par le Créateur. Aussi tout en condamnant partout l’avarice comme le doit faire un juste juge, le Seigneur comme maître de la vérité montre l’usage que l’on doit faire des richesses terrestres, et il le montre à l’endroit même que les Manichéens prétendent opposer au Prophète. « Faites-vous des amis avec les richesses d’iniquité », dit-il, ce qui signifie : Vous ne devez point conserver comme richesses ce qui est richesses d’iniquité ; et vous pourrez user des trésors de la terre, vous en faire même des amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels, si vous ne possédez pas ces sortes de richesses, c’est-à-dire si vous ne vous en estimez pas riches. Car vos richesses véritables, les richesses qui vous mettront à l’abri de tout besoin, n’ont rien de comparable aux biens : de la terre. Mais pour mériter d’en jouir, il faut commencer parfaire bon usage de ces biens qui ne sont ni à vous, ni richesses véritables, mais des richesses d’iniquité, puisqu’elles n’ôtent pas l’indigence et que l’iniquité seule les regarde comme richesses. Les pécheurs se croient par elles préservés de la pauvreté ; pour vous, vous devez soupirer ; après d’autres richesses, après les richesses véritables et qui vous appartiendront réellement. Mais « si vous n’avez pas été fidèles dans les richesses injustes, qui vous confiera les véritables ? Et si vous n’avez pas été fidèles dans le bien d’autrui, qui vous donnera celui qui est à vous [2] ? »
9. Mais il est évident que selon leur habitude les Manichéens dénaturent le sens des prophéties. Si peu effectivement que l’on examine le contexte du passage dont ils abusent, on remarquera qu’il n’y est pas question de cet or et de cet argent qui font tourner la tête à l’avare, mais, et plutôt de l’or et de l’argent dont parle l’Apôtre quand il dit : « Si on élève sur ce fondement un édifice d’or, d’argent, de pierres précieuses[3]. » Ce même or et cet argent formaient le trésor mystérieux qui d’après le Sauveur fut trouvé dans un champ et qu’un homme merveilleusement et admirablement avare s’empressa d’acheter

  1. Rom. 1, 25
  2. Lc. 16, 9-12
  3. 1 Cor. 3, 12