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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/351

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disais : mon pied chancelle. » Ainsi parle un psaume, ainsi s’exprime un saint cantique ; ainsi nous nous exprimerons nous-mêmes si nous avons l’intelligence ou plutôt la volonté. « Si je disais : mon pied chancelle : » Pourquoi chancelle-t-il, sinon parce qu’il est mon pied ? Et puis ? « Votre miséricorde, Seigneur ; me soutenait [1]. » J’étais soutenu non par ma force, mais par « votre miséricorde. » Dieu en effet a-t-il jamais laissé tomber celui qui chancelle et qui l’invoque ? Que deviendrait alors cet oracle : « Qui a imploré Dieu et s’en est vu délaissé ?[2] » Et celui-ci : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ?[3] » Présentant alors l’appui de sa droite, il le tira des eaux où il descendait ; et lui reprochant sa défiance : « Homme de peu de foi, dit-il, pourquoi as-tu douté ? » Pourquoi cette défiance après tant de confiance ?
9. Allons, mes frères, il faut terminer ce discours. Considérez ce monde comme une vaste mer ; le vent y est grand et la tempête violente. Qu’est-ce que cette tempête, sinon la passion de chacun ? Aime-t-on Dieu ? On marche alors sur la mer et on foule aux pieds l’orgueil du siècle. Aime-t-on le siècle ? On y sera englouti ; car il dévore ses amis au lieu de les porter. A-t-on le cœur agité par la passion ? Il faut, pour la dompter, recourir à la divinité du Christ. Mais croyez-vous, mes frères, que le vent n’est contraire que quand souffle l’adversité temporelle ? Oui, quand arrivent les guerres, les révoltes, la famine, la peste, quand des afflictions même privées se font sentir, on croit le vent contraire et on pense alors qu’il faut recourir à Dieu. Mais lorsque tout sourit dans le monde, on ne regarde point le vent comme étant contraire. Ah ! que la félicité temporelle ne soit pas pour toi un témoignage de la sérénité de l’air. Cherche à connaître cette sérénité ; mais regarde tes passions. Vois si tout est tranquille dans ton âme, si quelque souffle ennemi ne t’ébranle pas au dedans : c’est à cela qu’il faut faire attention. Il faut une grande vertu pour lutter contre la prospérité, pour ne se laisser ni séduire, ni corrompre, ni renverser par elle. Oui, il faut une grande vertu pour lutter contré la prospérité, et c’est un grand bonheur de n’être pas vaincu par le bonheur. Apprends donc à mépriser le monde, à mettre ta confiance au Christ. Et si ton pied chancelle, si tu trembles, si tu ne t’élèves pas au-dessus de tout, si tu commences à enfoncer, dis : « Je suis perdu Seigneur, sauvez-moi. » Dis : « Je suis perdu », pour ne l’être pas. Car il n’y a pour te délivrer de la mort de la chair que Celui qui dans sa chair est mort pour toi. Attachons-nous au Seigneur, etc.[4].


SERMON LXXVII. LA CHANANÉENNE OU L’HUMILITÉ[5].

ANALYSE. – Si Notre-Seigneur a différé d’exaucer l’ardente prière de cette femme qui n’était pas d’Israël, c’est qu’il voulait nous donner en elle un beau modèle d’humilité. – Mais avant de contempler cette humilité, examinons dans quel sens le Sauveur dit qu’il n’est envoyé que vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Évidemment c’est en ce sens, que personnellement il voulait évangéliser les Juifs afin de sauver par eux les Gentils, du nombre desquels était la Chananéenne. – Foi merveilleuse que celle de cette femme ! C’est surtout l’humilité qui en fait le mérite, comme ce fut l’humilité du Centurion qui attira sur lui les louanges et les bénédictions du Sauveur. – Ne vous représentez pas comme un festin matériel le banquet promis par le Sauveur aux élus qui partageront la foi du Centurion. Nos aliments et nos richesses ne sont que des moyens de retarder notre inévitable mort. Mais au ciel plus de mort à craindre. C’est le bonheur parfait. – Pour le mériter prenons modèle sur l’humilité de la Chananéenne et gardons-nous de l’orgueil qui perdit les Juifs incrédules.


1. Cette femme Chananéenne dont l’Évangile vient de nous faire l’éloge, est pour nous un exemple d’humilité et un modèle de piété ; elle nous apprend à nous élancer de bas en haut. Elle était, comme on voit, non pas du peuple d’Israël, dont faisaient partie les patriarches, les prophètes, les ancêtres de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont faisait partie la Vierge Marie elle-même, la mère du Christ. Cette femme n’appartenait donc pas à ce peuple mais aux gentils. En effet, comme nous venons de l’entendre, le Seigneur s’étant retiré du côté de Tyr et de Sidon, une femme sortit de ces contrées et lui demandait avec les plus

  1. Psa. 93, 18
  2. Sir. 2, 12
  3. Jol. 2, 32
  4. Serm. II
  5. Mat. 15, 21-28