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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/394

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s’arrête, et ils reconnurent Dieu, ils reconnurent le Christ. Lorsqu’après l’ascension il envoya l’Esprit-Saint, ils s’attachèrent à Celui qu’ils avaient crucifié et ils burent avec foi, dans son sacrement, le sang qu’ils avaient répandu dans leur fureur.
15. Nous ne manquons pas d’exemples. Le Sauveur était déjà assis dans le ciel, et Saul persécutait ses membres ; il les persécutait avec une fureur de frénétique, un aveuglement étrange, une passion sans bornes. « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Ces seuls mots descendus du ciel abattirent ce furieux, le guérirent et le relevèrent : le persécuteur était mort et un ardent prédicateur venait de recevoir la vie[1]. Beaucoup de léthargiques guérissent aussi. Ce sont ces malades qui sans s’emporter contre le Christ ni faire de mal aux Chrétiens, diffèrent leur conversion avec une sorte de langueur qui se révèle dans des paroles d’assoupissement ; ils sont indolents à ouvrir les yeux à la lumière, et on leur devient importun en cherchant à les éveiller. Laisse-moi, dit ce léthargique dans sa langueur, je t’en conjure, laisse-moi. – Pourquoi ? – Je veux dormir. – Mais ce sommeil te fera mourir. – Et, par attrait pour le sommeil je veux mourir, répond-il. – Et moi je ne le, veux pas, reprend plus haut la charité. Il n’est pas rare de voir un fils donner ces témoignages d’affection à son père déjà vieux, et dont la mort viendra dans quelques jours, puisqu’il est au terme de sa carrière. Ce père est en léthargie, le fils apprend du médecin que telle est la maladie qui accable son père ; le médecin lui dit même : Réveille-le et si tu veux prolonger sa vie, ne le laisse pas dormir. Voyez ce jeune homme près du vieillard : il le secoue, il le pince, il le pique, son affection le tourmente, il ne veut pas le laisser mourir si vite quoique la vieillesse doive le lui enlever bientôt : et s’il parvient à le rappeler à la vie, ce jeune homme est heureux de passer quelques jours encore avec ce père qui doit lui laisser sa place. Avec combien plus de charité ne devons-nous pas importuner nos amis, puisqu’il s’agit de vivre avec eux, non pas quelques jours dans ce monde, mais éternellement dans le sein de Dieu ! Qu’ils nous aiment donc, qu’ils fassent ce que nous leur disons et qu’ils cultivent celui que nous cultivons afin de recevoir aussi ce que nous espérons. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.[2].


SERMON LXXXVIII. L’AVEUGLEMENT SPIRITUEL[3].

ANALYSE. – Pour nous amener à la foi et nous guérir de nos maux, le Christ a dû faire pendant sa vie des miracles corporels. Il fait aujourd’hui beaucoup plus de miracles dans l’ordre spirituel et toute notre occupation doit être d’obtenir qu’il daigne nous guérir en particulier de notre aveuglement spirituel. Afin de savoir comment peut s’opérer cette guérison, étudions les circonstances de la guérison des deux aveugles de Jéricho. – Jésus passait quand ils eurent recours à lui ; il fallait aussi, pour se mettre à notre portée, qu’il fit des choses transitoires, c’est-à-dire des actions humaines. Ces aveugles à guérir étaient au nombre de deux : Jésus avait à agir également sur deux peuples distincts, les Juifs et les Gentils. Les aveugles crient vers le Sauveur : nous devons crier, nous, par nos bonnes actions. La foule les empêche ; mais ils n’en crient pas moins : la foule, même des chrétiens censure aussi la vie qui veut devenir sainte ; il faut dédaigner ce blâme. Jésus s’arrête devant les aveugles et cet arrêt figure sa divinité toujours immuable et éternelle ; c’est aussi à elle qu’il faut nous attacher pour obtenir de pouvoir contempler cette lumière dont l’éclat tourmente l’œil malade. – Courage ! En persévérant dans le bien on obtiendra même les éloges de ceux qui ont commencé par critiquer. Il y aura toujours dans le monde des bons et des méchants. S’il est dit aux bons de se séparer des méchants, ce n’est pas comme l’entendent les Donatistes, qu’il faille les quitter corporellement. On doit ne pas consentir au mal qu’ils font, les en reprendre, les en reprendre avec humilité. Est-ce que les prophètes se sont jamais séparés extérieurement du peuple dont ils censuraient les désordres ?

1. Votre sainteté tonnait parfaitement, comme nous, que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ est notre médecin pour le salut éternel, et que s’il s’est revêtu des infirmités de notre nature, c’est pour empêcher les nôtres de durer toujours. Il a pris un corps mortel afin de tuer la mort ; « et quoiqu’il ait été crucifié selon « notre faiblesse, il vit néanmoins par la puissance de Dieu [4] », ainsi que s’exprime l’Apôtre. Le même Apôtre dit aussi « qu’il ne meurt plus

  1. Act. 9, 4
  2. Serm. I
  3. Mat. 20, 30-34
  4. 2Co. 13, 4