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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/395

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et que la mort n’aura plus sur lui d’empire[1]. » Votre foi connaît parfaitement ces vérités. Donc aussi nous devons savoir que tous les miracles qu’il a faits sur les corps ont pour but de nous instruire et de nous faire parvenir à ce qui ne passe pas, à ce qui n’aura jamais de fin. Il a rendu les yeux aux aveugles, et la mort devait encore les leur fermer ; il a ressuscité Lazare, et Lazare devait encore mourir. Tout ce qu’il a fait pour la guérison des corps ne tendait pas à les rendre immortels, quoique néanmoins il doive finir par assurer aux corps mêmes une éternelle santé : mais comme on ne croyait pas aux invisibles réalités, il a voulu, par le moyen d’actions visibles et passagères, élever la foi vers les choses invisibles.
2. Que nul donc, mes frères, ne s’avise de dire que Notre-Seigneur Jésus-Christ rie fait maintenant rien de semblable, et que pour ce motif les premiers temps de l’Église étaient préférables à ceux-ci. Notre-Seigneur lui-même ne préfère-t-il pas quelque part ceux qui croient ans avoir vu à ceux qui croient parce qu’ils voient ? Telle était durant sa vie la faiblesse chancelante de ses disciples que non contents de l’avoir vu ressuscité, ils voulaient encore, pour croire à sa résurrection, le toucher de leurs mains. Le témoignage de leurs yeux ne leur suffisait pas, ils voulaient de plus palper son corps sacré et toucher les cicatrices encore fraîches de ses blessures : et ce n’est qu’après s’être assuré par lui-même de la réalité de ces cicatrices, que l’apôtre incrédule s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Ainsi les traces de ses plaies le révélaient et il avait guéri toutes les blessures d’autrui. Ne pouvait-il ressusciter sans ces marques sanglantes ? Ah ! c’est qu’il voyait, dans le cœur de ses disciples, des plaies qu’il voulait fermer en conservant les cicatrices de son corps. Et quand Thomas eut enfin confessé sa foi en s’écriant : « Mon Seigneur et mon Dieu ! C’est pour m’avoir vu, dit le Seigneur, que tu as cru : heureux ceux qui croient sans voir[2]. » N’est-ce pas nous, mes frères, que regardent ces dernières paroles ? N’est-ce pas nous et ceux qui nous suivront ? Peu de temps en effet après qu’il se fut dérobé aux regards mortels pour affermir la foi dans les cœurs, ceux qui croient en lui le firent sans avoir vu, et le mérite de leur foi fut considérable, et afin d’acquérir cette foi ils approchèrent de lui leur cœur pour l’aimer et non la main pour le toucher.
3. Les œuvres miraculeuses du Sauveur étaient donc une invitation à la foi. Cette foi brille aujourd’hui dans l’Église répandue par tout l’univers ; y produisant ces guérisons d’un ordre plus élevé qu’il avait en vue quand il ne dédaignait point de s’abaisser à des guérisons moins considérables. Car autant l’âme l’emporte sur le corps, autant la santé spirituelle est préférable à la santé corporelle. Si maintenant le corps d’un aveugle n’ouvre pas les yeux sous la main puissante du Seigneur ; combien de cœurs non moins aveugles ouvrent les yeux à sa parole ! Si l’on ne voit pas aujourd’hui ressusciter un cadavre, de nouveau destiné à la mort ; combien ressuscitent d’âmes ensevelies dans un cadavre vivant ! Si les oreilles d’un sourd ne s’ouvrent pas aujourd’hui ; combien de cœurs fermés s’épanouissent à l’action pénétrante de la parole de Dieu, et passent de l’incrédulité à la foi, du désordre à une vie réglée, de l’insubordination à l’obéissance ! Un tel est devenu croyant, disons-nous ; et nous sommes dans l’admiration, car il est du nombre de ceux dont nous connaissions la dureté. Mais pourquoi t’étonner de sa foi, de son innocence et de sa fidélité à Dieu ? N’est-ce point parce que tu vois éclairé celui que tu savais aveugle, vivant celui que tu savais mort ; n’est-ce pas aussi parce que ce sourd entend ? Considérez en effet ces autres morts dont parlait le Seigneur, quand à un jeune homme qui différait de le suivre afin de pouvoir ensevelir son père, il répondait : « Laisse les morts ensevelir leurs morts.[3] » Pour ensevelir les morts il ne faut pas assurément être mort soi-même ; comment un cadavre pourrait-il ensevelir un cadavre ? Le Sauveur néanmoins suppose que des morts peuvent ensevelir : comment sont-ils morts, suce n’est spirituellement ? De même en effet qu’on voit souvent, dans une maison où rien ne manque, le maître de la maison étendu sans vie ; ainsi est-il beaucoup d’hommes dont le corps est sain et dont l’âme est morte. Ce sont ces morts que cherche à réveiller l’Apôtre quand il dit : « Toi qui dors, lève-toi ; lève-toi d’entre les morts et le Christ t’éclairera[4]. » Il l’éclairera en le ressuscitant ; car c’est sa voix que fait retentir l’Apôtre aux oreilles du mort : « Toi qui dors, lève-toi. » Ce mort en ressuscitant ouvrira les yeux à la lumière.

  1. Rom. 6, 9
  2. Jn. 20, 25-29
  3. Mat. 8, 22
  4. Eph. 5, 14