Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/403

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a rompu la charité, on n’est rien. On parlerait en vain les langues des hommes et des anges, on connaîtrait en vain tous les mystères ; en vain aurait-on toute la foi, jusqu’à transporter les montagnes, distribuerait-on aux pauvres tous ses biens et livrerait-on son corps aux flammes ; si l’on n’a pas la charité, on n’est rien[1]. Inutilement on possèderait tout, si l’on manquait de la seule chose qui rend le reste utile. Embrassons donc la charité, en nous appliquant à maintenir l’unité d’esprit avec le lien de la paix[2]. Ne nous laissons pas séduire par ceux qui ont des idées trop charnelles et qui en provoquant une séparation matérielle se séparent eux-mêmes, par un sacrilège spirituel, du pur froment de l’Église répandu par tout l’univers. Ce pur froment en effet, a été semé par tout le monde. C’est le Fils de l’homme qui l’a répandu non seulement en Afrique mais aussi partout ; et c’est l’ennemi qui est venu ensuite semer l’ivraie. Or, que dit le Père de famille ? « Laissez, croître, l’un et l’autre jusqu’à la moisson. » Croître, où ? Sans doute dans le champ. Et quel est ce champ ? L’Afrique ? Non. Quel est-il donc ? Ne le disons pas nous-même, laissons le Seigneur interpréter sa pensée, et que personne ne se permette de soupçons arbitraires. Les disciples dirent donc à leur Maître : « Expliquez-nous la parabole de l’ivraie. » Et le Seigneur l’expliqua ainsi : « La bonne semence désigne les fils du royaume, et l’ivraie, les enfants du mal. » Qui a semé cette ivraie ? « L’ennemi qui a. semé l’ivraie, c’est le diable. » Quel est le champ ? « Le champ, c’est le monde. » Et la moisson ? « La moisson est la fin du siècle. » Et les moissonneurs ? « Les moissonneurs sont les anges[3]. » Mais l’Afrique est-elle le monde ! Sommes-nous au temps de la moisson et Donat est-il le moissonneur ? Oui, c’est partout l’univers qu’il vous faut attendre la moisson c’est par tout l’univers qu’il vous faut croître pour mûrir, c’est par tout l’univers qu’il vous faut laisser l’ivraie jusqu’à l’époque de la moisson. Ah ! ne vous laissez point séduire par les méchants, pailles légères qui s’envolent de l’aire avant l’arrivée du divin Vanneur : ne vous laissez pas séduire par eux ; arrêtez-les à cette parabole de l’ivraie, elle suffit pour les confondre et ne leur laissez plus dire. Un tel a livré les Écritures. – Non, c’est celui-là qui les a livrées. Quel que soit d’ailleurs celui qui les a livrées, est-ce que l’infidélité de ces traditeurs rendra vaine la fidélité de Dieu ? Et quelle est cette fidélité de Dieu ? Celle que Dieu a promise à Abraham quand il lui a dit : « Dans ta race seront bénies toutes les nations.[4] » Quelle est-elle encore ? « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson. » Croître, où ? Dans le champ. Qu’est-ce à dire, dans le champ ? C’est-à-dire dans le monde.
22. Ici on nous arrête. On avait vu, dit-on, le bon grain et l’ivraie croître dans le monde ; mais il n’y a plus guère de froment ; il n’y en a plus que dans notre pays et au milieu de nous, si peu nombreux que nous soyons. – Le Seigneur ne te permet pas de donner l’interprétation qui te plaît. C’est lui qui t’a expliqué cette parabole, et il te ferme la bouche, bouche sacrilège, bouche impie, bouche souillée, bouche qui se contredit et qui contredit en même temps le divin Testateur, les dispositions qui t’appellent à son héritage. Comment te ferme-t-il la bouche ? En disant : « Laissez l’un et l’autre croître jusqu’à la moisson. » Si donc le temps de la moisson est arrivé, croyons qu’il n’y a plus guère de froment ; et pourtant même alors on ne pourra dire qu’il n’y en a guère puisqu’il sera serré dans le grenier. Voici en effet ce qui est écrit : « Recueillez d’abord l’ivraie et mettez-la en gerbes pour la brûler ; quant au froment enfermez-le dans mon grenier. » Mais s’ils doivent croître jusqu’à la moisson et être ensuite enfermés, quand donc, tête opiniâtre et impie, les verra-t-on diminuer ? Comparé en même temps à l’ivraie et à la paille, le bon grain, je l’accorde est en petite quantité ; cependant il croît jusqu’à la moisson aussi bien que l’ivraie. Lors en effet que l’iniquité se multiplie, la charité se refroidit dans un grand nombre, l’ivraie croît et la paille aussi. Mais le bon grain ne saurait manquer partout, puis qu’en persévérant jusqu’à la fin il assure sa conservation[5] ; il s’ensuit que jusqu’à la moisson il croît avec l’ivraie. D’autre part, si la multitude des méchants a fait dire : « Penses-tu que le Fils de l’homme, en venant sur la terre, y trouvera encore de la foi[6] ? » (et ce mot de terre désigne tous ceux qui en violant la loi se rendent les imitateurs de celui à qui il a été dit : « Tu es terre, et tu retourneras « en terre ;[7] ») il est dit aussi, à cause du grand nombre des bons et en considération du patriarche à qui s’adressait cette promesse : « Ta postérité se multipliera comme les étoiles du ciel et comme le sable de la mer[8] ; » il est

  1. 1Co. 13, 13
  2. Eph. 4, 3
  3. Mat. 13, 24-30, 36-43
  4. Gen. 22, 18
  5. Mat. 24, 12-13
  6. Luc. 18, 8
  7. Gen. 3, 19
  8. Gen. 15, 5 ; 22, 17