Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/402

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lieu de le détourner comme auparavant. Ils le censurent donc, l’inquiètent et le tourmentent, tout le temps qu’ils espèrent pouvoir le gagner. Et s’ils sont vaincus parla constance qu’on met à avancer, les voilà qui changent de langage. C’est un grand homme, un saint homme, répètent-ils ; homme heureux que Dieu favorise. Ils l’honorent et le félicitent, ils le louent et le bénissent. Ainsi faisait encore la foule qui accompagnait le Seigneur. Elle empêchait d’abord les aveugles de crier, mais une fois que ceux-ci eurent crié, jusqu’à mériter d’être exaucés et d’obtenir miséricorde du Seigneur, la même foule commença à leur dire : « Jésus vous appelle. » Les voici donc excités par ceux mêmes qui auparavant leur imposaient silence. Et qui n’est pas appelé par le Seigneur ? Celui-là seulement qui ne souffre pas dans ce siècle. Mais qui ne souffre en cette vie de ses fautes et de ses iniquités ? Si donc tous ont à souffrir, c’est à tous qu’il a été dit : « Venez à moi, vous tous qui souffrez [1] ? » Et si ce langage s’adresse à tous, pourquoi rejeter ta faute sur Celui qui t’appelle ainsi ? Viens donc. Ne crains pas d’être à l’étroit dans sa demeure ; le royaume de Dieu est possédé tout entier par tous et par chacun. Le nombre de ceux qui en jouissent n’en diminue pas l’étendue, car il ne se partage pas ; chacun le possède tout entier, car tous y vivent dans une heureuse concorde.
19. Cependant, mes frères, nous découvrons, dans les mystérieuses profondeurs de l’Évangile de ce jour, une vérité qui brille d’un vif éclat dans d’autres parties des livres sacrés ; c’est qu’il y a dans l’Église des bons et des méchants, du froment et de la paille, comme souvent nous disons. Que personne ne quitte l’aire prématurément, qu’on souffre d’être mêlé à la paille pendant que se fait le battage ; qu’on souffre d’y être mêlé sur l’aire, car au grenier on n’aura plus rien à souffrir. Viendra le grand Vanneur et il séparera les méchants d’avec les bons, car il y aura alors, pour les corps-mêmes une séparation que prépare aujourd’hui la division des esprits. Toujours séparez-vous des méchants à l’intérieur, mais extérieurement conservez avec prudence l’union avec eux. Ne négligez pas toutefois de reprendre ceux qui relèvent de vous, ceux qui sont, à quelque titre, commis à votre sollicitude ; ayez soin de les avertir, de les instruire, de les encourager et de les effrayer. Agissez sur eux de toutes les manières possibles ; et puisque vous rencontrez, dans les Écritures ou dans la vie des saints antérieurs ou postérieurs à l’avènement du Seigneur, qu’au sein de l’unité les bons ne se sont point souillés au contact des méchants, ne négligez point de corriger ceux-ci. Pour n’être pas souillé par le méchant, il faut deux choses : ne pas consentir et réprimander. Ne pas consentir, c’est ne pas prendre part à ses œuvres, car on y prend part en s’y associant par la volonté ou en les approuvant : Voici l’avertissement que donne l’Apôtre à ce sujet : « Gardez-vous de prendre part aux œuvres stériles des ténèbres ;[2] » et comme il ne suffirait point de n’y pas consentir si on négligeait de les réprimer « Reprochez-les plutôt. » continue l’Apôtre. « Observez le double devoir tracé ici : Gardez-vous d’y prendre part ; reprochez-les plutôt. » Qu’est-ce à dire : « Gardez-vous d’y prendre part ? » Gardez-vous d’y consentir, de les louer de les approuver. Et que signifie : « Reprochez-les plutôt ? » Réprimandez-les, corrigez-les et les réprimez.
20. Il faut aussi, en corrigeant ou en réprimant les fautes d’autrui, éviter de s’enorgueillir, et méditer cette sentence apostolique : « Ainsi donc, que celui qui se croit debout, prenne garde de tomber[3]. » Faites retentir avec force et avec terreur le bruit de la réprimande ; mais conservez intérieurement la douceur de la charité. « Si un homme est tombé par surprise dans quelque faute, dit encore le même Apôtre, vous qui êtes spirituels, instruisez-le en esprit de douceur, regardant à toi-même pour éviter, toi aussi, d’être tenté. Portez les fardeaux les uns des autres, et c’est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ[4]. » Il dit encore ailleurs : « Il ne faut pas que le serviteur de Dieu dispute, mais qu’il soit doux envers tous, capable d’enseigner, patient, reprenant avec modestie ceux qui pensent différemment, dans l’espoir que Dieu leur donnera un jour l’esprit de pénitence pour qu’ils connaissent la vérité et se dégagent des liens du diable qui les tient captifs sous sa volonté[5]. » Ainsi donc ne soyez ni complices des méchants pour les approuver, ni négligents pour les réprimander, ni orgueilleux pour les censurer avec hauteur.
21. Mais quitter l’unité c’est rompre la charité, et si grands dons que l’on possède, quand on

  1. Mat. 11, 28
  2. Eph. 5, 11
  3. 1Co. 10, 12
  4. Gal. 5, 1, 2
  5. 2Ti. 2, 24-26