Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/485

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Tu veux que je dédaigne les premiers ; indique-moi quels sont les seconds que je dois préférer. — Notre psaume le dira lui-même ; car après ces mots : « Ils ont proclamé heureux le peuple possesseur de ces choses », il semble supposer que nous lui disons : Tu nous dépouilles de ces biens, mais que nous donnes-tu en place ? Oui, oui, nous les méprisons, mais de quoi vivrons-nous ? qui nous rendra heureux ? Ceux qui viennent de parler trouvent en eux-mêmes à quoi s’en tenir et ils publient que le bonheur est dans les richesses ; mais toi que dis-tu ?

À cette question supposée le psaume répond : Je dis, moi : « Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu[1]. » Ainsi les vraies richesses consistent à se faire des amis avec les richesses d’iniquité ; et le bonheur à avoir le Seigneur pour son Dieu.

Il nous arrive parfois en longeant la route, de voir de magnifiques et riches domaines : nous demandons, à qui cette propriété ? À un tel, nous répond-on. Si nous ajoutons : Il est bienheureux, c’est un langage menteur, comme aussi quand nous disons : Heureux le propriétaire de cette maison, de ce domaine, de ce troupeau, de ce serviteur, de cette famille. Loin de toi ce langage faux, si tu veux connaître la vérité, car « heureux est celui dont le Seigneur est le Dieu. » Non l’homme heureux n’est pas celui à qui appartient cette terre, mais celui dont le Seigneur est le Dieu. Pour montrer clairement que le bonheur consiste dans ces choses terrestres, tu prétends que ton domaine te rend heureux ; pourquoi ? Parce qu’il te fait vivre. Lors en effet que tu le vantes, tu as soin de répéter : C’est lui qui me nourrit, c’est lui qui me fait vivre. Mais considère donc quel est celui qui te fait vivre. N’est-ce pas Celui à qui tu dis : « En vous est la source de la vie[2]. »

« Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu.[3] » Ô Seigneur mon Dieu, ô Seigneur mon Dieu, pour nous attirer à vous, rendez-nous heureux par vous. Nous ne voulons chercher le bonheur ni dans l’or, ni dans l’argent, ni dans les domaines, ni dans aucun des biens terrestres, biens si vains et qui échappent si promptement à cette fragile vie ; nous ne voulons pas permettre à notre bouche un langage menteur. Rendez-nous heureux par vous-même, car nous pouvons ne pas vous perdre, et en vous possédant nous ne vous perdrons ni ne nous perdrons nous-mêmes. Faites-nous jouir de vous, car « heureux est le peuple dont le Seigneur est le Dieu. » Se fâcherait-il si nous l’appelions notre domaine ? Mais nous lisons : « Le Seigneur est ma part d’héritage[4]. » Chose merveilleuse, mes frères, nous sommes en même temps l’héritage de Dieu et il est notre héritage ; car si nous lui rendons un culte, il nous cultive à son tour. Il n’y a pas d’outrage à dire qu’il nous cultive : si nous lui rendons un culte comme à notre Dieu, il nous cultive comme son champ. Pour vous en convaincre, écoutez celui qui nous est venu de sa part : « Je suis la vigne, dit-il, vous en êtes les branches, et mon Père est le vigneron[5]. » Il nous cultive donc, et il ouvre son grenier si nous produisons du fruit ; mais si nonobstant des soins comme ceux qu’il nous donne, nous voulons demeurer stériles, si au lieu de froment nous présentons des épines, je me refuse à dire ce qui nous attend ; terminons sur une pensée consolante.

Tournons-nous, etc.

  1. Psa. 143, 11-15
  2. Psa. 35, 10
  3. Psa. 35, 10
  4. Psa. 15, 5
  5. Jn. 15, 1-5