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SERMON CXIV. Prononcé sur le tombeau de Saint Cyprien, en présence du comte Boniface. DU PARDON DES INJURES[1].

ANALYSE. – Jésus-Christ nous oblige à pardonner toutes les offenses. Pourquoi ne pas le faire ? C’est le moyen d’obtenir l’éternelle vie c’est l’exemple que nous donnent le Sauveur et ses Apôtres ; C’est le moyen d’obtenir le pardon de nos propres péchés et de ne pas ; mentir dans la prière.


1. Le saint Évangile qu’on vient de nous lire parle du pardon des injures, et c’est de ce sujet que nous devons vous entretenir, puisque nous sommes chargés de vous annoncer non pas notre parole, mais la parole de Dieu Notre-Seigneur, que nul ne sert sans gloire et que nul ne dédaigne sans châtiment. Ainsi donc ce Seigneur notre Dieu, qui nous a créés pendant qu’il demeurait dans le sein de son Père, et qui nous a régénérés depuis qu’il est devenu l’un de nous, ce Seigneur notre Dieu, Jésus-Christ nous dit ce que nous venons d’entendre à la lecture de l’Évangile : « Si ton frère a péché contre toi, reprends-le et s’il se repent, pardonne-lui ; et s’il a péché contre toi sept fois dans le jour, et que sept fois dans le jour il revienne à toi en disant : Je me repens, pardonne-lui. » Dans la pensée du Sauveur, sept fois dans le jour ne signifie rien autre chose que chaque fois, autrement tu pourrais refuser le pardon si ton frère venait à t’offenser huit fois. Il faut donc donner à sept fois le sens de toujours, de toutes les fois que ton frère péchera et se repentira. Ces expressions : « Je vous louerai sept fois le jour[2] », n’ont-elles pas la même signification que les expressions suivantes d’un autre Psaume« Sa louange est toujours sur mes lèvres ?[3] » Et si sept fois est mis pour toujours, c’est sûrement parce que la révolution du temps s’accomplit dans une succession constante de sept jours.
2. Toi donc, qui que tu sois, qui as le Christ devant tes yeux et aspires à obtenir l’objet de ses promesses, garde-toi de toute négligence pour l’observation de ses préceptes. Et qu’a-t-il promis ? La vie éternelle. Et qu’a-t-il commandé ? De pardonner : à notre frère. C’est comme s’il eût dit : O homme, pardonne à un homme, et Dieu se donnera à toi. Mais ne parlons pas, ou plutôt cessons de parler de ces sublimes et divines promesses par lesquelles notre Créateur s’engage à nous rendre égaux aux Anges, à nous faire vivre sans fin avec lui, en lui et par lui ; ne parlons plus, dis-, je, de ces promesses et réponds-moi : Ne veux-tu donc pas recevoir de ton Dieu ce qu’il te commande d’accorder, à ton frère ? Je répète : Ne veux-tu pas recevoir de ton Seigneur ce qu’il t’oblige d’octroyer à ton frère ? Si tu ne veux pas le recevoir, ne l’accorde pas. Quelle est cette grâce ? N’est-ce pas d’accorder le pardon à qui te le demande si tu veux l’obtenir en le demandant ? Si tu n’as pas besoin de pardon, j’ose bien te le dire : Ne pardonne pas. Et pourtant je ne dois pas tenir ce langage, car tu dois pardonner, lors même que fui, n’aurais pas besoin de pardon.
3. Tu vas m’objecter : Mais je ne suis pas Dieu, je ne suis qu’un pauvre pécheur. – Dieu soit béni de ce que tu l’avoues. Donc aussi pardonne afin que ces péchés te soient pardonnés. Un autre motif, c’est que le Seigneur notre Dieu nous presse de l’imiter. Or l’Apôtre saint Pierre dit de lui : « Le Christ même a souffert pour nous, vous donnant l’exemple afin de vous exciter à marcher sur ses traces ; lui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche de qui ne s’est point rencontrée la fraude [4]. » Ainsi il était sans péché, et il est mort pour nos péchés ; et pour nous en obtenir le pardon il a répandu son sang. Pour nous décharger de nos dettes, il s’est chargé de dettes qui n’étaient pas les siennes. Il ne devait pas mourir et nous ne devions pas vivre. Pourquoi ne devions-nous pas vivre ? Parce que nous étions pécheurs. La mort donc ne lui était pas due, comme la vie ne nous l’était pas. Et pour nous donner ce que nous ne méritions pas, il a accepté ce qui ne lui était pas dû. N’oublions pas toutefois qu’il s’agit du pardon des injures et ne croyez pas qu’il soit au-dessus de vos forces d’imiter le Christ en ce point. L’Apôtre ne dit-il pas : « Vous pardonnant réciproquement comme Dieu vous a pardonné dans la personne

  1. Luc. 17, 3-4
  2. Psa. 118, 164
  3. Psa. 33, 2
  4. 1Pi. 2, 21-22