Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/544

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même la faire boire à notre Rédempteur en lui présentant du fiel. Mais en lui enlevant et en s’appropriant les vaisseaux qu’il remplissait de lui-même, le Seigneur en répandit la liqueur amère et les remplit de la douceur de son esprit.

3. Ah ! aimons-le, puisqu’il est si doux. « Goûtez et voyez combien le Seigneur est suave[1]. » Il faut le craindre, mais l’aimer davantage. Il est à la fois Dieu et homme. Il y a dans, la seule personne du Christ l’humanité et la divinité, comme il y a dans un même homme l’âme et le corps ; mais la divinité et l’humanité ne forment pas deux personnes dans le Christ. Il y a en lui deux natures, la nature divine et la nature humaine, mais une seule personne ; ce qui fait que malgré l’incarnation il n’y a pas en Dieu quaternité, mais seulement Trinité. Est-il donc possible que Dieu n’ait pas compassion de nous, puisqu’il s’est fait homme pour nous ? Il a fait beaucoup, ce qu’il a fait est plus, étonnant que ce qu’il a promis, et ses œuvres doivent nous déterminer à compter sur ses promesses. Si nous ne le voyions, nous aurions peine à croire ce qu’il a fait. Où le voyons-nous ? Parmi les peuples qui croient en lui ; dans la multitude des nations qu’il a su s’attacher.

Ainsi nous voyons accompli ce qu’il a promis à Abraham, et ce spectacle nous porte à croire ce que nous ne voyons pas. Abraham effectivement n’était qu’un homme, et il lui fut dit : « Toutes les nations seront bénies dans Celui qui sortira de toi[2]. » S’il n’avait considéré que lui, aurait-il cru ? Il n’était qu’un homme, et un homme déjà dans la vieillesse, de plus son épouse était stérile, et déjà si avancée en âge, que l’âge seul sans la stérilité eût été un obstacle à la conception. Ainsi rien absolument ne pouvait légitimer d’espérance. Mais le patriarche considérait l’auteur de la promesse et il croyait sans voir ; Pour nous, nous voyons ce qu’il croyait, et pour cela nous devons croire ce que nous ne voyons pas. Abraham engendra Isaac, nous ne l’avons pas vu ; Isaac engendra Jacob ; nous ne l’avons pas vu non plus ; Jacob engendra ses douze fils, qu’également nous n’avons pas vus ; ses douze fils à leur tour engendrèrent le peuple d’Israël ; nous voyons aujourd’hui ce grand peuple. Puisque j’ai commencé à parler de ce que nous voyons, j’ajoute : Du peuple d’Israël est issue la vierge Marie, mère du Christ, et sous nos yeux toutes les nations sont bénies dans le Christ. Est-il rien de plus vrai, rien de plus certain, rien de plus manifeste ? O vous qui êtes sortis avec moi de la gentilité, désirez avec moi la vie future. Si dans ce siècle Dieu n’a point manqué à la promesse qu’il avait faite à Abraham relativement à sa postérité, n’accomplira-t-il pas encore bien plus largement ses promesses éternelles envers nous qui sommes par sa grâce la postérité même d’Abraham ? « Si vous êtes chrétiens, dit expressément l’Apôtre, il s’ensuit que vous formez la postérité d’Abraham [3]. »

4. Ah ! nous avons commencé à devenir quelque chose de grand ; que nul ne se méprise nous n’étions rien, mais nous sommes quelque chose. Nous avons dit au Seigneur : « Souvenez-vous que nous sommes poussière[4] ; » mais de cette poussière il a fait un homme, à cette poussière il a donné la vie, et dans la personne du Christ notre Seigneur il a élevé jusqu’au trône des cieux cette même poussière. N’est-ce pas ici en effet qu’il a pris chair, qu’il s’est uni à la terre et qu’après avoir fait la terre et le ciel il a élevé la terre jusqu’au ciel ? Figurons-nous donc qu’on nous parle aujourd’hui pour la première fois de ces deux choses en supposant qu’elles ne sont pas accomplies encore, et qu’on nous demande : Qu’y a-t-il de plus étonnant, ou que Dieu se fasse homme ou que l’homme devienne l’homme de Dieu ? De quel côté est la plus grande merveille, la difficulté plus grande ? – Que nous a promis le Christ ? Ce que nous ne voyons pas encore, c’est-à-dire, de devenir ses hommes, de régner avec lui et de ne mourir jamais. Ce qui paraît difficile à croire, c’est que l’homme sorti du néant parvienne ainsi à la vie qui ne finit pas. Et pourtant c’est ce que nous croyons quand nous avons secoué de notre cœur la poussière du monde, cette poussière qui ferme nos yeux à la lumière de la foi. Nous sommes même obligés de croire qu’après notre mort, nous entrerons avec ces corps, victimes du trépas, dans la vie d’où la mort est bannie à tout jamais. C’est chose étonnante. Ce qui l’est plus encore, c’est ce qu’a fait le Christ. Qu’y a-t-il en effet de plus incroyable ou de voir l’homme vivre éternellement, ou de voir le Christ mourir un jour ? N’est-il pas plus facile de croire que les hommes reçoivent de Dieu la vie, que de voir ces mêmes hommes donner la mort à Dieu ? Ce dernier fait est selon moi plus difficile à admettre. Et toutefois il est

  1. Psa. 30, 9
  2. Gen. 12, 3
  3. Gal. 2, 29
  4. Psa. 102, 14