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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/69

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entendre la voix de Dieu, le diable a pu paraître au milieu des saints Anges qui voyaient Dieu, sans le voir lui-même.
8. Vous le voyez, très-chers frères, on périt renverser de bien des manières les batteries élevées par les Manichéens contre la question qui nous occupe. Désormais vous ne penserez plus qu’en s’entretenant avec Dieu le diable ait pu voir face à face la vérité dont la vue est réservée aux cœurs purs ; ni qu’il soit parvenu à la jouissance de ce bonheur où nul ne saurait arriver que par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Je ne me lasse point d’admirer l’impudence de ces hérétiques. Comment ? Ils veulent nous accuser à propos de la vue de Dieu, et ils attribuent menteusement à nos Écritures ce que nos Écritures ne disent pas, savoir que le diable a vu Dieu ? Ils Veulent à ce sujet indisposer furieusement les esprits contre nous ; et si l’ignorance s’en rapporte â eux plutôt qu’au texte sacré, on ne peut que frémir à la pensée que le démon ait vu Dieu et perdre toute confiance à l’autorité des divines Écritures. Cependant eux-mêmes ne nient pas la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ils débitent qu’il s’est montré aux hommes sans avoir pris un corps humain.
9. Donc, quand le diable osa le tenter[1], que voyait-il en le voyant ? Si c’était son corps, le Seigneur avait donc un corps ; mais ces misérables refusent de l’avouer. Et si le Seigneur n’avait pas de corps ; le diable voyait donc la nature divine ; mais les cœurs purs sont seuls capables de la voir, comme ils nous le répètent eux-mêmes d’après l’Évangile. O insupportable aveuglement des hérétiques ! Pourquoi reprocher faussement à nos Écritures d’enseigner que le diable a vu Dieu, quand en refusant un corps au Christ tu es convaincu de vouloir mettre sous les yeux du diable sa divine nature ? Serait-il vrai, comme ils le disent, que sans avoir de corps humain le Christ faisait semblant d’en avoir un ? Insensés, pour qui est davantage la vérité, la raison ? Pour celui qui croit que Dieu s’est entretenu avec le diable, du pour celui qui croit, non-seulement que Dieu s’est entretenu avec le diable, mais encore qu’il a menti au diable ? L’Écriture, rappelle que des Anges se sont montrés à des hommes. Mais ils ont reçu du Seigneur une telle puissance sur les corps, qu’ils en disposent comme il leur plaît. Sans être nés d’une femme, ces Anges avaient donc un corps véritable qu’ils pouvaient transfigurer selon que l’exigeaient leur ministère et la nature de leurs fonctions ; mais c’était toujours un corps véritable. Quand le Seigneur changea lui-même l’eau en vin, pouvons-nous dire que c’était de fausse eau ou de faux vin ?
10. Quelques transformations qu’ait subies, par la volonté du Tout-Puissant, un corps rouable dans sa nature et dans la disposition de ses parties, il n’en est pas moins un vrai corps dans son genre ; car quels que soient ses changements, il ne cesse pas d’être corps et corps véritable. Mais ces novateurs imaginent que tous les corps viennent, non pas du Créateur divin et tout-puissant, mais de je ne sais quelle race de ténèbres. Aussi nous leur demandons d’où Notre-Seigneur Jésus-Christ a tiré son corps. Disent-ils qu’il n’a point pris de corps ? Mais. qu’était ce qu’il montrait aux regards corporels ? Ou bien c’était un fantôme trompeur, ce qu’il serait exécrable de penser ; ou bien, s’ils prétendent que c’était la nature divine elle-même qu’il montrait aux yeux des hommes sans avoir pris de corps, le diable l’a donc vue aussi. Que deviennent alors ces paroles qu’ils répètent ici d’une voix accusatrice : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ? » Diront-ils que la nature divine et propre du Sauveur n’est pas dans le sein du Père ce quelle voulut paraître sur la terre sans s’être incarnée ? N’est-ce pas croire, malheureux, qu’elle est muable dans l’espace et le temps ? Ils ne veulent donc pas lire ou ils ne sauraient comprendre aisément ce que dit un prophète : « Vous les changerez et ils seront changés : pour vous, vous êtes le même et vos années ne finiront pas ; » ni ce qui est écrit de la divine Sagesse dans livre même de la Sagesse : « Immuable en elle-même, elle renouvelle tout [2]. »
11. Et si, en suivant leur raisonnement, on leur disait : Pourquoi donc vous étonner que Dieu ait transformé la nature de sa divinité afin de permettre au cœur impur du diable de le contempler, puisque vous en croyez autant du Christ notre Dieu ? J’ignore ce qu’ils répondraient. Jamais, en effet, ils n’ont osé avancer que le Père et le Fils n’eussent pas la même nature ; et s’ils attribuaient au Fils une nature différente, il serait facile de leur répondre : Eh ! savez-vous si c’est avec le Père ou avec le Fils que, d’après cet ancien livre, le diable s’est entretenu ? Nous leur demanderions ensuite : Le diable voit-il, oui ou non, ce soleil ? S’il le voit ; comment ce soleil

  1. Mt. 4, 1-11
  2. Ps. 101, 27. 28 ; Sag. 7, 27