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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/70

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peut-il être Dieu, puisque le diable le voit ? S’il ne le voit pas ; mais les hommes mauvais le voient, et comment peut-il encore être Dieu, puisque Dieu n’est vu que des cœurs purs ? Si enfin pour se l’aire voir, lui aussi a changé et n’est pas tel qu’il paraît ; que répondre si je dis que pour imiter le soleil et ne pas l’adorer seulement, vous aussi vous vous montrez différents de ce que vous êtes ? Veux-tu néanmoins leur demander si la nature divine est muable ou immuable ? Moins conduits par la raison que couverts de confusion, ils ne peuvent se dispenser de répondre quelle est immuable. Ils sont donc forcés d’avouer que pour se montrer aux yeux Notre-Seigneur Jésus-Christ a pris son corps ailleurs que pour cette substance. S’il l’a pris ailleurs, ou l’a-t-il pris ? Dans ce monde ? Mais qui a créé, ce monde des corps ? La race des ténèbres, répondent-ils promptement. O folie surprenante ! Comment, misérables, vous avez peur du sein d’une vierge pour la formation du corps du Sauveur et vous n’avez pas peur de la race des démons ?
12. Voici notre profession de foi : Toute nature corporelle vient du Créateur divin et tout-puissant ; donc Notre-Seigneur n’a pu prendre un corps sans le prendre à sa créature : Mais il a préféré dans son humilité le tirer d’une femme, parce qu’il venait délivrer la créature jetée par une femme dans les liens de la mort, et pour amener les deux sexes à l’espoir d’être renouvelés et réparés, il les a choisis tous deux, le sexe de l’homme pour le garder et le sexe de la femme pour y recevoir la vie. Et vous qui avez horreur du chaste sein d’une vierge, examinez, de grâce, où le Seigneur pouvait prendre un corps : Tous les corps, dites-vous, sont de la nature de la race de ténèbres. Examinons donc, vous dis-je, d’où le Fils de Dieu a du tirer son corps. Ne voyez-vous plus assez pour répondre, parce que de tous côtés vos yeux ne rencontrent que ténèbres ? Une chair mortelle, répliquent-ils, semble trop impure. Répétez-leur ces paroles de l’Apôtre « Tout est pur à qui est pur. » Dites encore contre eux ces autres paroles du même Apôtre : « Mais rien n’est pur à ceux qui sont impurs et infidèles ; leur esprit et leur conscience sont souillés [1]. » S’ils ne disent pas qu’elle est trop impure, mais trop faible, nous sommes pleinement d’accord. Aussi le Christ est notre forée parce que notre faiblesse ne l’a point affaibli. Car ici je reconnais ce cri du prophète : « Vous les changerez et ils seront changés : pour vous, vous êtes toujours le même et vos ans ne finiront point.[2] » Non-seulement la faiblesse de la chair ne l’a point affaibli, lui-même l’a fortifiée. Voyez ce soleil. Les Manichéens ne croient pas que ce soit un corps, tant ils ignorent la nature des corps, eux qui se glorifient, contre toute raison, de savoir s’élever aux discussions spirituelles. Voyez donc ce soleil que nous appellerons un corps, uniquement parce qu’il est un corps céleste : il éclaire la terre sans en être obscurci ; il aspire l’eau sans en être humecté ; il rompt la glace sans en être refroidi ; il durcit la terre sans en être amolli. Et Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Verbe du Père par qui tout a été fait, la Vertu et la Sagesse de Dieu, présent partout et partout caché, tout entier partout et nulle part contenu, atteignant avec force d’une extrémité à l’autre et disposant tout avec douceur, n’aurait pu, craignent ces malheureux, se faire homme pour donner la vie aux mortels sans mourir lui-même ; sanctifier la chair sans en être souillé ; relâcher la mort sans en être enchaîné ; changer l’homme en soi sans se changer en lui ? Pour ménager la faiblesse de quelques-uns et écarter d’eux les dangers, il nous a fallu passer d’un genre à l’autre dans cette discussion. Quant à la question même que nous devions examiner, d’abord l’Écriture, qu’ils aiment mieux attaquer que d’en recevoir les lumières, ne dit pas que le diable ait vu Dieu. D’ailleurs c’est à eux, de nous dire comment la race des ténèbres a pu voir la nature divine quand, avant la lutte où, d’après eux, se sont mêlés le bien et le mal, cette divine nature n’avait point encore pris de corps pour se montrer à son ennemi. C’est assez pour leur prouver qu’ils essaient vainement d’ébranler les fondements de la foi catholique, et qu’aucune réponse ne saurait soutenir leurs fables qui tombent en ruines.

  1. Tite 1, 15
  2. Ps. 101, 27, 28