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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/94

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recouvrer son espérance flétrie ; il est abattu sous le poids de sa chute et il presse Dieu à grands cris de venir à son secours : le malheureux a pu se blesser, il ne peut se guérir. Ne pouvons-nous, quand il nous plaît, frapper et meurtrir notre chair, mais pour lui rendre la santé ne courons-nous pas au médecin, sans avoir pour nous rétablir autant de pouvoir que nous en avons pour nous détruire ? Ainsi pour pécher, l’âme se suffit à elle-même ; pour guérir les plaies du péché, elle implore la main secourable de Dieu. De là ces paroles d’un autre psaume : « J’ai dit : « Seigneur ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous. » On veut, en parlant ainsi, montrer sensiblement que l’âme trouve en elle-même la volonté, la liberté du péché, et que pour se perdre elle se suffit, mais que c’est à Dieu de la chercher et de la guérir quand elle s’est meurtrie. Car « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui s’était perdu [1]. » Voilà pourquoi nous disons en répandant notre prière : « Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu, et renouvelez au fond de mon âme l’esprit de droiture. » Parle ainsi, âme pécheresse, pour ne pas te perdre par le désespoir plus que tu ne t’es perdue par le péché.
2. Il faut avant tout prendre soin de ne pas pécher, de ne contracter pas avec le péché comme avec le serpent une amitié dangereuse. De sa dent venimeuse il tue celui qui pèche et ce n’est pas un être avec lequel on doive faire alliance. Mais s’il lui arrive d’opprimer le faible, de séduire un imprudent, de surpendre un égaré, de tromper et d’induire en erreur, que le coupable ne craigne pas de l’avouer et qu’il cherche non à s’excuser, mais à s’accuser. N’est-ce pas ce que l’on demande dans ces paroles d’un Psaume : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche, et à mes lèvres une porte qui les ferme ; ne laissez pas mon cœur se porter aux paroles mauvaises, chercher des excuses à mes péchés ?[2] » On te conseille un péché ? Repousse absolument. On t’a persuadé de le commettre ? Ne t’excuse pas, mais plutôt accuse-toi. Celui à qui nous avons entendu dire : « Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu », n’avait-il pas commencé ainsi : « Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde ? » Grand pécheur il demande une grande miséricorde ; à sa large plaie il veut un large remède. Il dit encore : « Détournez les yeux de mes crimes ; effacez toutes mes iniquités. Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu [3]. » Ainsi Dieu détourne sa vue du péché quand on le confesse, quand on s’en accuse et que l’on implore son divin secours et sa miséricorde. Mais en détournant la vue des crimes, il ne la détourne pas du coupable. On lui dit ici : « Détournez les yeux de mes crimes ; effacez toutes mes iniquités ; » mais on lui dit ailleurs : « Ne détournez pas de moi votre face[4]. » Il se détourne quand il ne remarque point ; car s’il remarque il châtie, comme font les juges lorsqu’ils prononcent leur sentence contre les accusés reconnus coupables. Si donc nous disons à Dieu : « Détournez les yeux de mes crimes », c’est pour obtenir qu’il ne nous châtie point, qu’il ne sévisse point contre nous. Ne pas les reconnaître, c’est les méconnaître. Nous nommons noble celui qui est noble et ignoble celui qui n’est pas noble : c’est à peu près ainsi que nous disons qu’un homme connaît quand il connaît, et qu’il méconnaît quand il ne connaît pas. Mais si tu veux que Dieu méconnaisse tes fautes, reconnais-les. Car le péché ne peut rester impuni : il ne convient pas, il ne faut pas, il n’est pas juste, qu’il le soit. Et puisqu’il ne peut demeurer impuni, punis-le donc pour n’être pas puni à cause de lui. Qu’il trouve en toi un juge ; non un défenseur. Monte sur le tribunal de ta conscience pour prononcer contre toi ; accusé, place-toi devant toi-même. Ne te place pas derrière : autrement Dieu te placerait devant lui. Aussi pour obtenir un facile pardon, le pénitent dit-il dans notre psaume : « Car je reconnais mon iniquité et mon péché est toujours devant moi[5]. » Comme s’il disait : Puisqu’il est devant moi, il ne doit pas être devant vous ; méconnaissez-le, puisque je le reconnais. Ainsi ton péché sera châtié par toi ou par Dieu ; s’il l’est par toi il le sera sans toi ; s’il l’est par Dieu, tu seras châtié avec lui. Sévis donc contre lui pour que Dieu te défende. Dis franchement : C’est moi qui l’ai commis. « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous. »C’est moi, dit-il, qui ai dit. Je ne cherche pas, pour excuser mon péché, qui a péché en me tentant ou qui m’a poussé au crime. Je ne dis pas : La Fortune en est cause. Je ne dis pas : Le destin l’a voulu. Je ne dis pas non plus : Le diable en est l’auteur. Le diable en effet peut conseiller, effrayer ; il peut même tourmenter sérieusement s’il en a reçu la permission : et il faut demander au

  1. Lc. 19, 10
  2. Ps. 140, 3-4
  3. Ps. 50, 3, 11-12
  4. Ps. 26, 9
  5. Ps. 50, 5