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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/95

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Seigneur la force de n’être ni séduit par ses attraits ni abattu par ses violences. Contre les charmes et les menaces de l’ennemi, qu’il daigne nous donner deux vertus : l’une pour contenir et l’autre pour souffrir : pour contenir les passions et n’être point pris par la prospérité ; pour soutenir les terreurs et n’être point abattus par l’adversité. «. Et comme je savais que nul ne peut se contenir sans un don de Dieu [1]. » Il est dit clans le même sens : « Créez en moi un cœur pur, mon Dieu. ». Il est dit encore : « Malheur à ceux qui ont perdu la patience[2]. » Ne cherche donc à accuser personne, autrement tu pourrais rencontrer un accusateur de qui tu ne pourrais te défendre. Notre ennemi lui-même, le diable est content lorsqu’on l’accuse ; il veut résolument que tu le charges et il est disposé à subir tous les reproches qu’il te plaira, pourvu que tu n’avoues point tes fautes. C’est pour déjouer ses ruses que ce pénitent s’écrie : « J’ai dit, Seigneur. » En vain cet ennemi me dresse des pièges, je connais ses embûches. Il cherche à captiver ma langue et à me faire dire : Le diable en est l’auteur. « J’ai dit » au contraire : « Seigneur. » C’est donc par ces artifices qu’il séduit les âmes et les éloigne du remède de la confession : tantôt il leur insinue de s’excuser et de chercher à en accuser d’autres ; tantôt il leur inspire, quand elles ont péché, de se livrer au désespoir et de considérer le pardon comme impossible à obtenir ; tantôt encore il leur persuade que Dieu oublie tout sur-le-champ et qu’il n’est pas nécessaire de se corriger.
3. Considérez donc quels sont les dangers contre lesquels doit se tenir en garde un cœur pénitent ! Pour ne pas rejeter la faute sur autrui ; qu’il se rappelle ces paroles : « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous. » Mais on ne doit pas succomber au désespoir, croire qu’il soit impossible de guérir après avoir péché et beaucoup péché. On ne doit pas s’abandonner aux passions, ni se laisser aller à la remorque de toutes les convoitises ; car alors on fait tout ce qui plaît, sans égard à la défense, ou si on ne le fait pas, c’est uniquement par respect humain ; et comme un gladiateur, comme un homme dévoué à l’immolation, qui désespère entièrement de la vie, on s’abandonne à tout ce qui peut satisfaire ses inclinations et ses penchants déréglés, on périt misérablement par désespoir. Afin donc de protéger ces pécheurs contre eux-mêmes, c’est-à-dire contre ces pensées funestes, l’Écriture dit avec soin : « En quelque jour que l’impie se convertisse et pratique la justice, j’oublierai toutes ses iniquités [3]. » Hélas ! une fois guérie du désespoir, grâce à ces paroles si elle y ajoute foi, l’âme rencontre un autre précipice : le désespoir n’a pu la faire périr, la présomption peut la perdre. Et qui peut périr par présomption ? Le voici : c’est celui qui dit dans son âme : Dieu a promis le pardon à tous ceux qui renoncent aux péchés, à quelque heure qu’ils se convertissent il oubliera leurs iniquités. Donc je ferai ce qui me plaît, je me convertirai quand je le voudrai et rues fautes seront effacées. – Que répondre à cet homme ? Que Dieu ne prend pas soin de guérir le pénitent, qu’il ne lui remet pas tous les péchés commis lorsqu’il se convertit ? Mais le nier serait contester contre la clémence divine, traverser les enseignements des prophètes, résister aux divins oracles. Un fidèle dispensateur ne fera point cela.
4. Donc, me répliquera-t-on, tu lâcheras les rênes aux péchés et tu laisseras faire aux hommes ce qu’ils veulent en leur promettant le pardon, l’impunité même au jour de leur conversion ? C’est leur donner toute liberté pour le crime ; ils s’y précipitent avec impétuosité sans que personne les rappelle, et leur espérance en fait des désespérés. Mais quoi ? l’Écriture aurait des remèdes tout préparés contre le désespoir et elle n’en aurait point contre l’espérance trompeuse ? Écoute ce qu’elle dit contre l’espoir funeste et pervers : « Ne tarde pas de revenir au Seigneur et ne diffère point de jour en jour ; car sa colère viendra soudain, et il te perdra au moment de la vengeance[4]. » Comprends-tu, présomptueux ? Tu péris si tu désespères, et si tu espères tu péris encore. Où seras-tu en sûreté ? Comment échapper à ce double précipice ? Comment te placer dans la droite voie pour servir Dieu, avoir pitié de ton âme, plaire au Seigneur ? Tu désespérais et l’on t’a dit : « En quelque jour que l’impie se convertisse, j’oublierai toutes ses iniquités. » Tu commençais à te livrer à une espérance déréglée et l’on t’a dit : « Ne tarde point de revenir au Seigneur, et ne diffère point de jour en jour. » La providence et la miséricorde divine t’environnent de toutes parts. Que réponds-tu ? Dieu m’a promis le pardon ; il me l’accordera quand je me convertirai. Oui, il te l’accordera quand tu reviendras à lui : et pourquoi n’y reviens-tu point ? C’est parce qu’il me l’

  1. Sag. 8, 21
  2. Sir. 2, 16
  3. Eze. 18, 21 ; 33, 14-15
  4. Sir. 5, 8-9