Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/109

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ou bien, s’il s’en est chargé, c’est pour les anéantir et non pour s’y livrer. Juste et immortel, il est bien loin des hommes injustes et mortels ; comme pécheur et mortel, tu étais pour ta part à une grande distance de ce juste immortel. Comme toi il ne s’est donc pas fait pécheur ; mais il s’est fait mortel comme toi. Tout en restant juste il est devenu mortel. En se chargeant du châtiment sans se charger de la faute, il a anéanti la faute et le châtiment. C’est ainsi que le Seigneur est proche ; ne « vous inquiétez de rien ». Son corps est élevé par-dessus tous les cieux, mais sa majesté ne nous a point quittés. Auteur de tout, il est présent partout.

4. « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ». D’où vient la joie du siècle ? Elle vient de l’iniquité, de la honte, du déshonneur, de l’infamie : voilà ce qui fait la joie du siècle. Tout cela est le produit de la volonté humaine. Mais outre ce qu’ils font volontairement, les hommes ont à souffrir, même malgré eux. Qu’est-ce donc que ce siècle, et quelle est sa joie ? En deux mots, mes frères, autant que je le conçois et que Dieu m’en fait la grâce ; en deux mots donc et à la hâte, le voici : La joie du siècle consiste dans l’impunité du crime. Qu’on se livre à la débauche, à la fornication et aux vains spectacles ; qu’on se plonge dans l’ivresse, qu’on se souille d’infamies et qu’on n’ait rien à souffrir ; voilà le siècle dans la joie. Qu’il ne vienne, pour châtier tous ces désordres, ni famine, ni bruit de guerre, ni terreur, ni maladie, ni adversité quelconque ; que tout nage dans l’abondance, qu’on goûte la paix des sens et la tranquillité factice d’une conscience en désordre ; voilà encore la joie du siècle. Combien peu toutefois les pensées de Dieu ressemblent aux pensées des hommes ! Combien ses desseins diffèrent de nos desseins ! Sa grande miséricorde est de ne laisser pas le crime impuni ; et pour n’être pas forcé de condamner plus tard à l’enfer, c’est par bonté que maintenant il châtie à coup de fouets.

5. Veux-tu savoir quel terrible châtiment, d’être sans châtiment ? Je parle ici du pécheur que les peines temporelles doivent préserver des peines éternelles. Veux-tu, dis-je, savoir quel terrible châtiment, d’être sans châtiment ? Interroge ce psaume : « Le pécheur a irrité le Seigneur », y est-il dit. C’est un cri d’indignation qui s’échappe ; le Prophète a considéré, il a examiné et il s’écrie : « Le pécheur a irrité le Seigneur ». Mais qu’as-tu vu, je t’en prie ? Il a vu le pécheur se livrer impunément à la débauche, faire le mal et regorger de biens ; c’est alors qu’il s’est écrié : « Le pécheur a irrité le Seigneur ». Pourquoi ce langage ? Qui te l’inspire ? « C’est que dans la grandeur de sa colère, le Seigneur ne s’en occupe pas[1] ». Comprenez, mes très-chers frères, en quoi consiste la miséricorde de Dieu. Quand Dieu châtie le monde, il ne veut pas le perdre. Si « dans la violence de sa colère il ne s’occupe pas » de ses crimes ; c’est que réellement son indignation est au comble. Sa sévérité consiste à épargner, et sa sévérité est juste. Sévérité d’ailleurs vient de vérité[2]. Or, si la sévérité de Dieu consiste à épargner, n’est-il pas désirable qu’il soit pour nous miséricordieux en nous châtiant ? Et pourtant que souffrons-nous, comparativement à ce que nous faisons ? Ah ! Dieu ne nous a point traités comme le méritaient nos offenses[3]. C’est que nous sommes ses enfants. La preuve ? C’est que, pour ne rester pas seul, le Fils unique est mort pour nous. Seul il est mort pour ne pas demeurer seul. Aussi le Fils unique de Dieu a-t-il engendré beaucoup d’enfants à Dieu. Car il a voulu verser son sang pour s’acquérir des frères, être repoussé pour les faire accueillir, être vendu pour les racheter, couvert d’injures pour les combler d’honneurs, souffrir la mort, pour leur donner la vie. Et quand il n’a point dédaigné de se charger de tes maux, tu doutes qu’il te fasse part de ses biens ? Oui donc, mes frères, « réjouissez-vous dans le Seigneur » et non dans le siècle, dans la vérité et non dans l’iniquité, dans l’espérance de l’éternité et non dans les fleurs de la frivolité. Réjouissez-vous de cette manière ; puis en quelque lieu et en quelque temps que vous soyez, souvenez-vous que « le Seigneur est proche, et ne vous inquiétez de rien ».

  1. Psa. 9, 4
  2. Severitas, quasi saeva veritas
  3. Psa. 102, 10