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SERMON CLXXII.
NOS DEVOIRS ENVERS LES MORTS[1].

ANALYSE. – Il faut les pleurer, la nature le veut ; mais les pleurer avec confiance, la religion l’exige. Il faut surtout soulager par les saints sacrifices, les prières et les bonnes œuvres, ceux d’entre les morts qui ont mérité pendant leur vie de pouvoir profiter de ces secours ; et s’il est louable de leur faire de belles funérailles et d’élever des monuments pour perpétuer leur souvenir, il est mieux encore de les secourir par tous moyens.

1. En nous parlant de ceux qui dorment, c’est-à-dire de nos bien chers défunts, le bienheureux Apôtre nous recommande de ne pas nous affliger comme ceux qui sont sans espoir, c’est-à-dire qui ne comptent ni sur la résurrection ni sur l’incorruptibilité sans fin. Aussi quand ordinairement l’infaillible véracité de l’Écriture compare la mort au sommeil, c’est pour qu’à l’idée de sommeil nous ne désespérions pas du réveil. Voilà pourquoi encore nous chantons dans un psaume : « Est-ce que celui qui dort ne s’éveillera point ?[2] » La mort, quand on aime, cause donc une tristesse en quelque sorte naturelle ; car c’est la nature même et non l’imagination, qui a la mort en horreur ; et l’homme ne mourrait pas sans le châtiment mérité par son crime. Si d’ailleurs les animaux, qui sont créés pour mourir chacun en son temps, fuient la mort et recherchent la vie ; comment l’homme ne s’éloignerait-il point du trépas, lui qui avait été formé pour vivre sans fin s’il avait voulu vivre sans péché ? De là vient que nous nous attristons nécessairement ; lorsque la mort nous sépare de ceux que nous aimons. Nous savons sans doute qu’ils ne nous laissent pas ici pour toujours et qu’ils ne font que nous devancer un peu ; néanmoins, en tombant sur l’objet de notre amour, la mort, qui fait horreur à la nature, attriste en nous l’amour même. Aussi l’Apôtre ne nous invite point à ne pas nous affliger, mais à ne pas nous désoler « comme ceux qui sont sans espoir ». Nous sommes dans la douleur quand l’inévitable mort nous sépare des nôtres, mais nous avons l’espérance de nous réunir à eux. Voilà ce qui produit en nous, d’un côté le chagrin, de l’autre la consolation ; l’abattement qui vient de la faiblesse et la vigueur que rend la foi ; la douleur que ressent la nature et la guérison qu’assurent les divines promesses.

2. Par conséquent les pompes funèbres, les convois immenses, les dépenses faites pour la sépulture, la construction de monuments splendides, sont pour les vivants une consolation telle quelle ; ils ne servent de rien aux morts. Mais les prières de la sainte Église, le sacrifice de notre salut et les aumônes distribuées dans l’intérêt de leurs âmes, obtiennent pour eux sans aucun doute que le Seigneur les traite avec plus de clémence que n’en ont mérité leurs péchés. En effet la tradition de nos pères et la pratique universelle de l’Église veulent qu’en rappelant au moment prescrit, durant le sacrifice même, le souvenir des fidèles qui sont morts dans la communion du corps et du sang de Jésus-Christ, on prie pour eux et on proclame que pour eux on sacrifie. Or, si pour les recommander à Dieu on fait des œuvres de charité, qui pourrait douter qu’ils n’en profitent, quand il est impossible qu’on prie en vain pour eux ? Il est incontestable que tout cela sert aux morts ; mais aux morts qui ont mérité avant leur trépas de pouvoir en tirer avantage après. Car il y a des défunts qui ont quitté leurs corps sans avoir la foi qui agit par la charité[3], et sans s’être munis des sacrements de l’Église. C’est en vain que leurs amis leur rendent ces devoirs de piété, puisqu’ils n’ont pas possédé, pendant leur vie le gage même de la piété ; soit qu’ils n’aient pas reçu, soit qu’ils aient reçu inutilement la grâce de Dieu, s’amassant

  1. 1Th. 4, 12
  2. Psa. 40, 9
  3. Gal. 5, 6