Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de tous les pécheurs, celui qui nous a livrés à la mort, Adam ne vécut-il pas avant saint Paul ? Que signifie alors : « Dont je suis le premier ? » L’Apôtre veut-il dire qu’il est le premier de ceux dont s’est approché le Sauveur ? Mais ce sens n’est pas vrai non plus ; car avant lui ont été appelés et Pierre et André[1], et les autres apôtres. Tu as, ô Paul, le dernier d’entre eux ; comment donc peux-tu dire : « Dont je suis le premier ? » Oui, il se dit le dernier des apôtres et le premier des pécheurs. Mais dans quel sens le premier des pécheurs ? Pierre n’a-t-il pas péché avant toi, en reniant jusqu’à trois fois son Maître[2] ? Je pourrais dire aussi que si cet Apôtre ne se fût rencontré parmi les pécheurs, il n’aurait point passé de la gauche à la droite.

7. Mais enfin que veut dire : « Dont je suis le premier ? » Je suis le pire de tous ; premier est ici synonyme de pire. Que dit un architecte au milieu des ouvriers ? Il demande : Quel est ici le premier maçon ? quel est le premier charpentier ? Que dit également un malade qui veut guérir ? Quel est ici le premier, médecin ? On ne demande pas alors quel est le plus âgé ni le plus ancien dans sa profession, mais quel est le plus habile. Eh bien ! comme on appelle, premier le plus habile, Paul se nomme le premier pour exprimer qu’il est le plus grand pécheur. Or, comment est-il le plus grand pécheur ? Rappelez-vous ce qu’était Saul, et vous le comprendrez. Vous ne voyez que Paul, vous perdez Saul de vue ; vous ne voyez en lui que le pasteur, vous ne pensez plus au loup. N’est-il pas vrai que n’ayant pas assez de ses mains pour lapider Étienne ; il gardait les vêtements des autres bourreaux ? N’est-il pas vrai que partout il persécutait l’Église ? N’est-il pas vrai qu’il avait obtenu des lettres des princes des prêtres ? Ce n’était pas assez pour lui de sévir contre les chrétiens qui étaient à Jérusalem ; il voulait les découvrir ailleurs encore, et les enchaîner pour les traîner au supplice. N’est-il pas vrai qu’il courait et respirait le sang, lorsqu’il fut frappé du haut du ciel et qu’heureusement renversé par la foudre il entendit la voix du Seigneur, abattu sur le chemin et aveuglé pour recouvrer la vue ? Il fut ainsi le premier des persécuteurs ; nul autre ne le surpassa en fureur..  8. Voici qui le fait mieux comprendre encore. Saul étant déjà abattu et déjà relevé, le Seigneur Jésus s’adressa en personne à Ananie et lui dit : « Va dans telle rue, tu y trouveras un nommé Saul, de Tarse en Cilicie, parle-lui ». Saul, au même moment, voyait Ananie s’approcher de lui et le baptiser. Mais à ce nom de Saul, Ananie trembla, quoiqu’il fût entre les bras du Médecin. Voici un trait plus doux. Vous vous rappelez sans doute d’où venait à Saul le nom qu’il portait ; je le dirai néanmoins en faveur de ceux qui ne s’en souviennent pas. Le roi Saül persécutait David ; or, David, représentait, figurait le Christ, comme Saül figurait Saul. Ne semble-t-il donc pas que c’était David qui criait à Saül du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Quant au nom d’Ananie, il signifie brebis : c’était donc le Pasteur qui s’adressait à sa brebis, et celle-ci redoutait la dent du loup ; car ce loup faisait au loin tant de bruit, que sous la main du Pasteur même, la brebis ne se croyait pas en sûreté ; elle tremblait donc en entendant la voix du Sauveur, et elle répondit : « Seigneur, j’ai appris combien cet homme a fait de maux à vos saints dans Jérusalem, et l’on dit que maintenant encore il a reçu, des princes des prêtres, des lettres qui l’autorisent à reconduire, après les avoir chargés de liens, tous ceux qu’il pourra saisir ». Où m’envoyez-vous ? N’est-ce pas la brebis que vous jetez à la gueule du loup ? – Le Seigneur n’admit pas cette excuse. Déjà il avait dit au petit nombre de ses timides brebis : « Voilà que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups[3] ». Si j’ai envoyé mes brebis au milieu des loups, pourquoi craindre, Ananie, d’aborder cet homme qui n’est plus un loup ? C’est du loup que tu avais peur. Mais écoute le Seigneur ton Dieu : De ce loup, dit-il, j’ai fait une brebis, et de cette brebis je fais maintenant un pasteur.

9. Ah ! écoutez comment ce même homme, comment ce Saul, qui plus tard devait porter le nom de Paul, se félicite d’avoir obtenu de ; Dieu miséricorde, après avoir été le premier, c’est-à-dire le plus grand des pécheurs. « Et pourtant, dit-il, j’ai obtenu miséricorde, afin qu’en moi le Christ Jésus montrât toute sa patience, en faveur de ceux qui croiront

  1. Mat. 15, 18
  2. Id. 26, 70-74
  3. Mat. 10, 16