Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/127

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parce que je n’aime pas ce trésor. Montre-le par tes œuvres. Tu ne l’aimes pas, mais tu es riche. Ta réflexion et ta distinction sont justes ; car tu ne confonds pas celui qui est riche avec celui qui veut le devenir, et l’on ne peut nier qu’il n’y ait entre l’un et l’autre une différence sérieuse : d’un côté l’opulence, de l’autre la passion.

6. Aussi bien l’Apôtre lui-même ne dit-il pas Ceux qui sont riches ; mais : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation, clans un piège, et dans beaucoup de désirs funestes ». C’est parce qu’ils veulent devenir riches, et non parce qu’ils le sont ; de là le mot « désirs » qu’emploie saint Paul ; car le désir s’applique à ce que l’on cherche et non à ce que l’on possède. Si insatiable que soit l’avarice, ceux qui possèdent beaucoup, désirent, non pas ce qu’ils ont, mais ce qu’ils veulent acquérir. Un tel possède cette campagne, il voudrait avoir encore celle-là et après elle une autre : ce qu’il désire n’est pas ce qu’il possède, mais ce qu’il n’a pas. Ainsi en voulant devenir riche il est en proie aux désirs et à une soif ardente, laquelle s’augmente, comme celle de l’hydropique, à mesure qu’il boit. L’avare a donc au cœur une sorte d’hydropisie qui ressemble merveilleusement à l’hydropisie proprement dite. Quoique rempli d’une eau qui met sa vie en danger, l’hydropique en demande toujours ; ainsi l’avare a d’autant plus de besoins qu’il est plus riche. Quand il possédait moins, il demandait moins ; il lui fallait moins pour le réjouir, quelques miettes faisaient ses délices ; depuis qu’il est comme rempli de biens, il semble qu’il n’a fait que se dilater pour aspirer à davantage. Il boit sans cesse et toujours, il a soif. Ah ! si j’avais cela, dit-il, je pourrais atteindre jusque-là ; je puis peu, parce que j’ai peu. – Au contraire, posséder davantage, ce serait vouloir encore plus, ce serait accroître, non pas ta puissance, mais ton indigence.

7. Je ne tiens pas à ce que j’ai, dis-tu, afin d’avoir le cœur élevé. D’accord ; si tu n’y tiens vraiment pas, ton cœur peut être haut placé ; quel obstacle empêcherait de s’élever un cœur libre ? Mais n’y tiens-tu pas ? Dis-le-toi fidèlement à toi-même, n’attends pas que je t’accuse, interroge-toi. – Non, je n’y tiens pas ; je suis riche, il est vrai, mais comme je le suis, sans vouloir le devenir, je n’ai pas à tomber dans la tentation ni dans un filet ni dans ces nombreux et funestes désirs qui plongent l’homme dans la perdition : mal dangereux, mal accablant, horrible et mortelle maladie ! – Je suis riche, dis – tu, je ne veux pas l’être. – Tu es riche et tu ne veux pas l’être ? – Non. – Et si tu ne l’étais pas, ne voudrais-tu le devenir ? – Non. – Donc, puisque tu l’es, puisqu’en te trouvant riche matériellement, la parole de Dieu t’a comblé des richesses intérieures, prends pour toi ce qui est dit aux riches. Ce n’est pas ce qui est exprimé dans ces paroles, : « Nous n’avons rien apporté dans ce monde et nous ne saurions en emporter rien ; ayant donc le vivre et le vêtement, contentons-nous ; car ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation », et le reste. Ces mots en effet : « Ceux qui veulent devenir riches », prouvent que l’Apôtre parlait à ceux qui ne le sont pas. Es-tu donc pauvre ? répète ce langage et tu es riche ; mais répète-le de tout cœur ; dis donc du fond du cœur : Je n’ai rien apporté dans ce monde et je ne saurais en emporter rien ; ayant donc le vêtement et la nourriture, je suis content. Car si je veux devenir riche, je tomberai dans la tentation et dans le piège. Parle ainsi, et reste ce que tu es. Garde-toi de te plonger dans les nombreux chagrins : ne te déchirerais-tu pas en cherchant à te dépouiller. Revenons : tu es donc riche ? Nous avons d’autres paroles à t’adresser ; ne t’imagines pas, ô riche, que l’Apôtre rie t’a rien dit. Il écrivait donc au même, à Timothée, pauvre comme lui. Mais qu’écrivait-il à ce pauvre concernant les riches ? Le voici, écoute : « Ordonne aux riches de ce siècle » ; c’est qu’il y a aussi des hommes qui sont les riches de Dieu ; ceux-ci sont même les seuls vrais riches, et tel était ce même Paul qui disait : « J’ai appris à être satisfait de l’état où je me trouve[1] » ; tandis que l’avare n’est satisfait de rien. « Ordonne donc aux riches de ce siècle ». – Que leur dirai-je ? De ne chercher pas à devenir riches ? Mais ils le sont. Qu’ils écoutent ce qui s’adresse à eux ; c’est en premier lieu « de ne « pas s’enfler d’orgueil ». Quoi ! on a encore des richesses et on les aime éperdument ! Mais elles sont comme un nid où l’orgueil se développe et grandit, grandit, hélas ! non pour s’envoler, mais pour y rester. Avant tout donc

  1. Phi. 4, 11