Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/128

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le riche ne doit pas « s’enfler  d’orgueil ». Ainsi sache, ô riche, persuade-toi et te rappelle que tu es mortel et que les pauvres, mortels comme toi, sont tes égaux. Qu’aviez-vous l’un et l’autre en paraissant sur la terre ? Sujets tous deux à la maladie, n’êtes-vous pas tous deux attendus par la mort ? Sur sa couche de terre le pauvre endure la souffrance, et le riche ne peut l’empêcher de venir à lui sur son lit d’argent. Ainsi donc « ordonne aux riches de ce monde de ne s’enfler pas d’orgueil ». Qu’ils voient dans les pauvres leurs égaux s’ils sont hommes, les pauvres le sont aussi ; l’habit est différent, le sang est le même : quoique le riche soit embaumé après sa mort, il n’est pas pour cela exempt de la corruption, elle vient plus tard ; pour venir plus tard, en vient-elle moins réellement ? Supposons toutefois que le riche et le pauvre ne pourrissent pas également, ne sont-ils pas sensibles l’un et l’autre ? « Ordonne aux riches de ce monde de ne s’enfler pas d’orgueil ». Non, qu’ils ne s’enflent pas d’orgueil, et ils seront en réalité ce qu’ils veulent paraître ; ils posséderont leurs richesses sans les aimer et conséquemment ils n’en seront pas les esclaves.

8. Considère encore ce qui suit : « De ne pas s’enfler d’orgueil et de n’espérer pas dans l’inconstance des richesses ». Tu aimes l’or ; peux-tu être sûr de n’avoir pas à craindre de le perdre ? Tu t’es amassé du bien ; peux-tu t’assurer la tranquillité ? « Et de n’espérer pas dans l’inconstance des richesses ». Détache donc ta confiance des objets où tu l’as placée. « Mais au Dieu vivant ». Fixe en lui ton espoir, jette en lui l’ancre qui retient ton cœur, afin que les tempêtes du siècle ne puissent t’en détacher. « Au Dieu vivant qui nous donne abondamment tout pour en jouir ». S’il nous donne tout, combien plus encore se donne-t-il lui-même ? Oui, il est bien vrai qu’en lui nous jouirons de tout. Aussi ce tout qu’il nous « donne abondamment pour en jouir », me semble-t-il n’être que lui. Autre chose est d’user et autre chose de jouir. Nous usons par besoin, nous jouissons par plaisir. Par conséquent Dieu nous donne les choses temporelles pour en user, et lui-même pour en jouir : Mais si c’est lui-même qu’il donne, pourquoi avoir dit tout, sinon parce qu’il est écrit « que Dieu doit être tout en tous[1] ? » En lui donc place ton cœur pour jouir de lui, et ton cœur sera élevé. Détache-toi d’ici et attache-toi là-haut : quel danger pour toi de rester sans être fixé au milieu de toutes ces tempêtes !

9. « De n’espérer pas dans l’inconstance des richesses » ; l’espoir pourtant n’est pas interdit ; « mais au Dieu vivant qui nous donne abondamment tout pour en jouir ». Où est tout, sinon en Celui qui a fait tout ? Il ne ferait pas tout, s’il ne connaissait tout. Qui oserait dire : Dieu a fait cela sans le savoir ? Il a fait ce qu’il savait. Cet objet était donc en lui, avant d’être fait par lui ; mais il était en lui d’une manière admirable ; il était en lui, non comme on le voit réalisé, à la façon de ce qui est temporel et passager, mais comme l’idée est dans l’artiste. Celui-ci porte en soi ce qu’il produit extérieurement ; et c’est ainsi que tout est en Dieu souverainement, immortellement, immuablement, toujours au même état, et que Dieu sera tout en tous ; mais c’est pour ses saints qu’il sera tout en tous. Lui donc et lui seul nous suffit ; aussi est-il écrit : « Montrez-nous votre Père, car il nous suffit. Quoi ! reprît alors le Sauveur, je suis avec vous depuis si longtemps et vous ne me connaissez pas ? Me voir, c’est voir mon Père[2] ». Dieu donc est tout, Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; et c’est avec raison que seul il nous suffit. Ah ! aimons-le, si nous sommes avares ; seul il pourra nous satisfaire, si nous convoitons les richesses, car il est dit de lui ; « Il comble de biens tes désirs[3] ». Et le pécheur ne s’en contente pas ? Il n’a pas assez d’un bien si grand, si incomparable ? Hélas ! en voulant tout avoir, il a plutôt perdu tout, « l’avarice étant la racine de tous les maux », Aussi est-ce avec raison que par l’organe d’un Prophète le Seigneur adresse ces reproches à l’âme infidèle qui se prostitue loin de lui ; « Tu t’es imaginé que tu obtiendrais davantage en te séparant de moi ». Mais, comme ce fils puîné, te voilà réduite à paître des pourceaux[4] ; tu as tout perdu, tu es restée dans la misère, et c’est bien tard que tu es revenue tout épuisée. Comprends enfin que ce que te donnait ton père était près de lui plus en sûreté. « Tu t’es imaginé que tu obtiendrais davantage en te séparant de moi ». O pécheresse, ô prostituée, ô âme couverte de honte, défigurée, ô âme immonde, tu es pourtant aimée

  1. 1Co. 15, 28
  2. Jn. 14, 8, 9
  3. Psa. 102, 5
  4. Luc. 15, 15