Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/130

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comment me délivrer ? Que faire, s’il me faut plaider ? Ou trouver des ressources ? – Hélas ! pendant que, sans y réussir, on cherche à calculer tous les maux qui peuvent affliger l’humanité, souvent un seul accident trouble tous les calculs, et il ne reste rien, absolument rien des ressources qu’on alignait. Aussi pour détruire ce ver rongeur, pour anéantir cette pensée, Dieu a-t-il placé dans son Écriture un enseignement qu’on peut comparer aux parfums destinés à éloigner l’artison des étoffes. Quel est cet enseignement ? Tu songeais aux malheurs qui peuvent tomber sur toi, sans penser peut-être au plus grand de tous ? Écoute : « N’aimez point l’argent, contentez-vous de ce qui actuellement suffit ». Car Dieu même a dit : « Je ne te laisserai ni ne t’abandonnerai[1] ». Tu redoutais je ne sais quel accident, et pour y parer tu conservais ton or. Prends note de l’engagement sacré que Dieu même contracte. « Je ne te laisserai ni ne t’abandonnerai, dit-il ». Si un homme te faisait cette promesse, tu aurais confiance ; c’est Dieu, et tu doutes ? Oui, il t’a promis, il a écrit, il t’a donné caution, sois donc sûr. Relis sa promesse, tu l’as en main, tu as en main la caution ; tu as en main Dieu lui-même, devenu ton débiteur, quoique tu le supplies de te quitter tes dettes.


SERMON CLXXVIII. SUR LA JUSTICE[2].

ANALYSE. – L’évêque étant obligé de combattre non-seulement ceux qui contredisent la saine doctrine par leurs discours, mais encore ceux qui y résistent par leurs actions, saint Augustin croit devoir réfuter ici ceux qui blessent la justice. Il leur rappelle et leur prouve que la justice impose trois devoirs : 1° Celui de ne pas ravir le bien d’autrui. Si l’Évangile condamne avec tant de rigueur ceux qui ne font pas l’aumône avec leurs propres biens, quels supplices n’attendent pas ceux qui dérobent ce qui ne leur appartient point ! Vainement ils prétextent qu’avec ce bien ravi ils assistent les malheureux, ou qu’ils ne dépouillent que des païens. En dépouillant les païens ils les empêchent de devenir chrétiens, et en dépouillant des chrétiens c’est le Christ même qu’ils dépouillent ; 2° le second devoir prescrit par la justice est de restituer le bien d’autrui. L’Écriture en faisait une obligation sacrée au peuple juif lui-même. Exemple mémorable et touchant de restitution ; 3° une autre obligation imposée par, la justice, c’est de la pratiquer, non par une crainte servile, mais par le pur amour qui ne demande pour récompense que le bonheur de jouir de Dieu.

1. Ce qu’on vient de lire de l’Epître du bienheureux Apôtre sur le choix des évêques, a été pour nous tous un avertissement. Nous y avons appris, nous, à nous examiner sérieusement, et vous, à ne pas nous juger, surtout à cause de cette pensée qui suit le passage de l’Évangile dont on nous a encore donné lecture : « Gardez-vous de juger avec acception des personnes, mais rendez un juste jugement[3] ». En effet pour ne pas faire, dans ses jugements, acception des étrangers, il ne faut pas faire non plus acception de soi-même. Le bienheureux Apôtre dit quelque part « Je combats, mais non comme frappant l’air ; au contraire je châtie mon corps et le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même[4] ». Cette frayeur se communique à nous. Que fera l’agneau, lorsque tremble le bélier ? Parmi les nombreux devoirs auxquels l’Apôtre exige que soit propre l’évêque, il en est un qui vient de nous être rappelé aussi, et que nous pourrons nous contenter d’examiner et d’approfondir ; car si nous cherchions à les étudier tous en détail et à traiter de chacun d’eux comme il se rait convenable, ni nos forces ni les vôtres n suffiraient, les nôtres pour parler, les vôtres pour écouter. Or, quel est ce devoir spécial que j’ai en vue, avec le secours de Celui qui vient de me glacer d’effroi ? C’est que nonobstant tant ses

  1. Heb. 13, 5
  2. Tit. 1, 9
  3. Jn. 7, 24
  4. 1Co. 9, 26-27