Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

miettes qui tombaient de la table du riche ? » Ce crime seul, cette inhumanité avec laquelle il dédaignait le pauvre étendu devant sa porte sans lui donner les aliments convenables, lui mérita la mort ; une fois enseveli et plongé dans les tourments de l’enfer, il leva les yeux et vit le pauvre dans le sein d’Abraham. Mais pourquoi plus de détails ? Là il soupirait après une goutte d’eau, lui qui n’avait pas donné une miette de pain : une avarice cruelle lui avait fait refuser ; un arrêt plein de justice le condamna à ne pas obtenir[1]. Or, si de tels châtiments sont réservés aux avares, à quoi ne doivent pas s’attendre les ravisseurs ?

4. Pour moi, me dit quelqu’un de ces ravisseurs, je ne ressemble pas à ce riche. Je donne des repas de charité, j’envoie du pain aux prisonniers, des vêtements à ceux qui n’en ont point et j’abrite les étrangers. – Ainsi tu crois donner ? Oui, si tu ne ravissais pas. Celui à qui tu donnes est dans la joie ; celui que tu dépouilles, dans les larmes : lequel des deux exaucera le Seigneur ? Tu dis à l’un : Remercie-moi de t’avoir donné ; mais l’autre te dit de son côté : Je souffre de ce que tu m’as pris. De plus, ce que tu as pris à l’un, tu le conserves presque tout entier ; et ce que tu donnes à l’autre, est fort peu de chose ; et pourtant, eusses-tu donné absolument tout, Dieu n’aimerait pas encore cette conduite. Insensé, te dit-il, je t’ai commandé de donner, mais non pas du bien d’autrui. Si tu as quelque chose, donne de ce qui est à toi ; si tu n’as rien à donner, mieux vaut ne donner rien que de dépouiller les autres. Lorsque le Christ Notre Seigneur siégera sur son tribunal, et qu’il aura placé les uns à sa droite et les autres à sa gauche, il dira à ceux qui auront fait de bonnes œuvres : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume » ; tandis qu’aux hommes stériles qui n’auront pas fait de bien aux pauvres, il parlera ainsi : « Allez au feu éternel ». Aux bons, que dira-t-il encore ? « Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger », et le reste. « Seigneur, reprendront ceux-ci, quand vous avons-nous vu endurer la faim ? – Ce que vous avez fait, répondra-t-il, à l’un des derniers d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ». Insensé, qui veux faire l’aumône avec le bien usurpé, comprendras-tu enfin que si tu nourris le christ en nourrissant un chrétien, dépouiller un chrétien c’est aussi dépouiller le Christ ? Remarque ce qu’il dira à ceux de la gauche : « Allez au feu éternel, Pourquoi ? Parce que j’ai eu faim et que vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai été nu et vous ne m’avez pas donné de vêtement[2] ». – « Allez ». Où ? « Au feu éternel ». Oui allez-y. Pourquoi ? « Parce que j’ai été nu et que vous ne m’avez pas donné de vêtement ». Mais s’il doit aller au feu éternel, celui à qui le Christ dira : J’ai été nu, et tu ne m’as point donné de vêtement, quelle place occupera dans ces flammes celui à qui il pourra dire : J’avais des vêtements et tu m’en as dépouillé ?

5. Pour échapper à cette sentence et n’entendre pas le Christ t’adresser ces mots : J’avais des vêtements et tu m’en as dépouillé, voudrais-tu, contre la coutume établie, dépouiller le païen pour vêtir le chrétien ? Ici encore le Christ te répondrait ; oui il te répond ici même par l’organe d’un de ses ministres, si peu de chose que soit celui-ci : Ah ! prends garde de me faire tort ; car si un chrétien dépouille un païen, il l’empêchera de devenir chrétien. Insisterais-tu et dirais-tu : Mais ce n’est point par haine, c’est par amour de l’ordre que je lui inflige ce châtiment ; je prétends, au moyen de cette sévère et salutaire correction, faire de lui un chrétien ? Je t’écouterais et je te croirais, si tu donnais au chrétien toute la dépouille de ce païen.

6. Nous venons de parler contre ce vice qui jette partout le désordre au milieu de l’humanité ; et personne ne nous contredit. Eh ! qui oserait s’élever par ses paroles contre une vérité si manifeste ? Ainsi nous ne faisons point actuellement ce que prescrit l’Apôtre, puisque nous ne réfutons point de contradicteurs ; loin de réfuter des contradicteurs, nous parlons à des fidèles soumis, nous instruisons des hommes qui nous applaudissent. Hélas ! ce n’est point par des paroles, n’est-ce point par des actes qu’on nous contredit ? Je rappelle à l’ordre et on dérobe ; j’enseigne, on dérobe encore ; je commande, on dérobe aussi ; je reprends, on dérobe toujours ; n’est-ce pas contredire ? Je dirai donc encore sur ce sujet ce que je crois nécessaire. Abstenez-vous, mes frères, abstenez-vous, mes enfants, abstenez-

  1. Luc. 16, 19-26
  2. Mat. 25, 34, etc