Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/133

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vous de l’habitude du vol ; et vous qui gémissez sous la main des ravisseurs, abstenez-vous du désir de ravir. Un tel est puissant et il enlève le bien d’autrui ; toi au contraire tu gémis sous sa main rapace ; mais si tu ne fais pas comme lui, c’est que tu n’en as pas le pouvoir. Montre-moi ce pouvoir et je confesserai avec bonheur que la passion est domptée en toi.

7. L’Écriture proclame heureux « celui qui n’a point couru après l’or, qui a pu transgresser et qui n’a point transgressé, faire le mal et ne l’a pas fait[1] ». Pour toi, tu n’as, dis-tu, refusé jamais de rendre le bien d’autrui. N’est-ce point parce que personne jamais ne te l’a confié, ou qu’on ne te l’a confié qu’en présence de plusieurs témoins ? Mais, dis-moi, l’as-tu rendu également quand toi et celui qui te le remettait, vous n’aviez pour témoin que le regard de Dieu ? Si tu l’as rendu alors, si après la mort du dépositaire tu as remis au fils ce que t’avait confié le père à son insu, je te louerai de n’avoir pas couru après l’or, d’avoir pu transgresser et de n’avoir pas transgressé, faire le mal et de ne l’avoir pas fait. Je te louerai également si tu as rendu sans délai le sac de monnaie que tu as pu trouver sur ton chemin et quand il n’y avait personne pour te voir. Allons, mes frères, rentrez en vous-mêmes, examinez-vous, interrogez-vous, rendez-vous compte sans déguisement et jugez-vous, non pas en faisant acception de la personne, mais selon la justice rigoureuse. Tu es chrétien, tu fréquentes l’Église, tu écoutes la parole de Dieu et tu l’entends lire avec la plus sensible joie. Or, pendant que tu applaudis celui qui l’explique, je demande qu’on la pratique ; oui, pendant que tu loues celui qui la prêche, je demande qu’on l’observe. Tu es donc chrétien, tu fréquentes l’Église, tu aimes la divine parole et tu l’écoutes avec plaisir. Eh bien ! voici une parole divine que je te présente, sache à sa lumière t’examiner et te peser, monter sur le tribunal de ta conscience pour comparaître toi-même devant toi-même, te juger et te corriger si tu te trouves en défaut. La voici donc. Dieu dit dans sa loi qu’il faut rendre ce qu’on a trouvé[2]. Dans cette loi donnée par lui au premier peuple, pour qui le Christ n’était pas encore mort, il dit donc qu’il faut rendre, comme étant le bien d’autrui, ce qu’on a trouvé. Ainsi, par exemple, si tu avais rencontré sur la route la bourse d’un autre, tu serais obligé de la lui rendre. Mais tu ne sais à qui elle appartient ? Vaine excuse d’ignorance que nul ne prétexte, s’il n’est esclave de l’avarice.

8. Voici pour votre charité, car les dons viennent de Dieu, et il en est parmi son peuple qui n’écoutent pas en vain sa parole ; voici donc ce que fit un homme très-pauvre, pendant que nous étions établis à Milan. Cet homme était réduit à servir de valet à un grammairien ; mais il était excellent chrétien, quoique son maître fût païen et méritât plutôt d’être debout à la porte qu’assis dans la chaire[3]. Ce pauvre trouva une bourse qui contenait, si je ne me trompe, environ deux cents pièces d’argent. Pour observer la loi, il fit placer une affiche en public. S’il connaissait l’obligation de rendre la bourse, il ne savait à qui la remettre. Voici quel était le sens de cette affiche : Celui qui a perdu de l’argent n’a qu’à venir en tel endroit et demander un tel. Le malheureux qui avait perdu sa bourse et qui portait ses plaintes de tous côtés, ayant rencontré et lu cette affiche, s’empressa de suivre la direction indiquée. Pour n’être pas dupe d’un voleur, celui qui avait trouvé la bourse lui demanda comment elle était, quels en étaient le sceau et le contenu. Les réponses l’ayant satisfait, il la rendit. Au comble de la joie et désireux de témoigner sa reconnaissance, le premier lui offrit comme fa dîme, vingt pièces d’argent : il les refusa. Il le pria d’en accepter au moins dix : nouveau refus. Cinq au moins : refus encore. De mauvaise humeur, il jeta sa bourse : Je n’ai rien perdu, dit-il ; non, je n’ai rien perdu si tu ne veux rien accepter. Quel combat ! mes frères, quelle lutte ! quel démêlé ! quel conflit ! Le monde en était le théâtre et Dieu le seul spectateur. Le pauvre pourtant se laissa vaincre ; il accepta ce qu’on lui offrait, mais ce fut pour aller aussitôt le distribuer aux pauvres sans en garder chez lui la moindre parcelle.

9. Eh bien ! si j’ai fait quelque impression

  1. Sir. 31, 8, 10
  2. Deu. 22, 3
  3. ° Le texte porte Proscholus et désigne l’homme de peine destiné surtout à faire la police dans la classe. En disant que le maître méritait plutôt d’être à la porte, où se tenait le domestique, ante velum, qu’assis dans la chaire, l’humilité de saint Augustin laisse entendre que le maître dont il s’agit n’était autre que lui-même. Le trait est donc fort authentique. (Voir Conf. liv. 1, ch. 13.)