Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour la nourriture ; mais Dieu détruira l’un et l’autre[1] ». Il détruira ? C’est qu’on ne ressentira plus la faim. Mais la nourriture qu’on prendra alors durera toujours. C’est la récompense qu’il promet de donner à ses saints dans son royaume : « En vérité je vous le déclare, dit-il, il les fera mettre à table ; lui-même passera et les servira[2] ». Que signifie : « Il les fera mettre à table », sinon : Il les fera reposer, reposer complètement ? Et : « Il passera lui-même et les servira ? » Qu’il les servira après avoir passé ici, car le Christ a passé ici, et il nous faudra le rejoindre dans ce séjour où il ne passe plus. Le mot Pâque en hébreu signifie passage ; à quoi fait allusion le Sauveur, ou plutôt son Évangéliste, lorsqu’il dit : « L’heure étant venue pour lui de passer de ce monde à son Père[3] ». Or, si dès maintenant il nous sert, et quelle nourriture ! à quoi ne devons-nous pas nous attendre alors ? La part choisie par Marie devait donc croître plutôt que de passer. Eh ! quand le cœur humain jouit de la lumière de la vérité, de l’abondance de la sagesse ; quand surtout ce cœur humain est un cœur fidèle et saint, à quelles délices comparer ce qu’il ressent ? D’aucune autre satisfaction on ne saurait même dire qu’elle est moindre ; ce serait comme laisser croire qu’en augmentant elle pourra égaler ces divines délices. Ici donc point de degré moindre, point de comparaison à établir les joies sont de nature trop différente. Pourquoi en ce moment êtes-vous tous si attentifs, si appliqués ? Pourquoi cette émotion et ce plaisir quand vous voyez la vérité ? Que voyez-vous alors ? Que saisissez-vous ? Quelle couleur brillante a frappé vos regards ? Quelle forme, quelle figure a passé devant vous ? Quelle en était la grandeur, quels en étaient les membres, quelle en était la beauté corporelle ? Rien de tout cela ; et pourtant vous aimez ; applaudiriez-vous ainsi, si vous n’aimiez pas ? Or, aimeriez-vous, si vous ne voyiez rien ? Oui, sans que je vous montre ni formes corporelles, ni couleurs, ni contours, ni mouvements cadencés, sans que je vous montre rien de tout cela, vous voyez, vous aimez, vous applaudissez. Ah ! si maintenant la vérité a tant de charmes, que n’aura-t-elle point alors ? « Marie a choisi la meilleure part, laquelle ne lui sera point ôtée ».

7. Autant que je l’ai pu et que le Seigneur a daigné m’en faire la grâce, j’ai montré à votre douce, charité combien vous êtes plus en sûreté en restant debout pour écouter, que nous en prêchant. Ne faites-vous pas aujourd’hui ce que tous nous ferons plus tard ? Dans la patrie en effet il n’y aura plus personne pour porter la parole ; le Verbe se portera lui-même. Mais aujourd’hui votre devoir est de pratiquer et le nôtre de vous y exciter, puisque vous êtes auditeurs, et nous prédicateurs. Tous néanmoins nous sommes auditeurs, auditeurs dans cette partie secrète de nous-mêmes où ne pénètre aucun regard humain, auditeurs dans le cœur, dans l’intelligence où vous parle Celui qui vous porte à applaudir ; car je ne fais, moi, qu’un bruit extérieur de paroles ; c’est Dieu qui émeut votre âme, et c’est là que nous devons tous écouter. Mais tous aussi nous devons pratiquer et extérieurement et intérieurement en présence de ! Dieu. Comment pratiquer intérieurement ? « Parce que quiconque voit une femme pour la convoiter a déjà commis avec elle l’adultère dans son cœur[4] ». On peut donc être coupable de ce crime sans qu’aucun homme s’en aperçoive, mais non sans que Dieu châtie. Quel est alors celui qui pratique intérieurement ? Celui qui ne voit pas pour convoiter. Et celui qui pratique extérieurement ? « Romps ton pain pour celui qui a faim [5] ». Le prochain te voit alors : Dieu seul distingue cependant quelle est l’intention qui t’anime. « Observez » donc « la parole », mes frères, « sans vous contenter de l’entendre, ce qui serait vous séduire vous-mêmes » ; vous-mêmes et non pas Dieu ni celui qui prêche. Ni aucun prédicateur ni moi ne lisons dans votre cœur ; nous ne pouvons juger ce que vous faites par le travail intérieur de vos pensées. Mais si l’homme ne peut voir cela, Dieu le distingue, le cœur humain ne peut avoir pour lui de replis cachés. Il voit avec quelle intention tu écoutes, ce que tu penses, ce que tu retiens, combien tu profites de ses grâces, avec quelle insistance tu le pries, comment tu lui demandes ce que tu n’as pas et comment tu lui rends grâce de ce que tu possèdes : Lui qui doit te demander compte de tout, connaît tout cela. Nous pouvons bien, nous, distribuer les richesses du Seigneur ; lui-même viendra les réclamer, car il a dit : « Mauvais serviteur, tu devais mettre mon argent à la banque, et je l’aurais en venant réclamé avec les intérêts[6] ».

8. Prenez

  1. 1Co. 6, 13
  2. Luc. 12, 37
  3. Jn. 13, 1.
  4. Mat. 5, 28
  5. Isa. 58, 7
  6. Luc. 19, 22-23