Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/139

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font ; car ils disent et ne font pas[1] ? » Ils disent bien et font mal ; pour toi écoute le bien et te garde de faire mal. Tu objecteras. Comment un homme mauvais peut-il m’enseigner à être bon ? « Cueille-t-on des raisins sur des épines[2] ? »


donc garde, mes frères, de vous séduire vous-mêmes ; car il ne vous suffit pas d’être venus avec empressement entendre la parole de Dieu ; il faut, sans vous relâcher, mettre en pratique ce que vous écoutez. S’il est beau d’entendre, n’est-il pas bien plus beau d’accomplir ? En n’écoutant pas, en négligeant de le faire, tu ne bâtis rien. Écouter sans pratiquer, c’est préparer un renversement. Voici la comparaison frappante qu’a faite Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même pour expliquer cette vérité : « Celui, dit-il, qui entend ces paroles que je publie et qui les accomplit, je le comparerai à l’homme sage qui bâtit sa maison sur la pierre. La pluie est descendue, les fleuves sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison, et elle n’est pas tombée ». Pourquoi ? « Parce qu’elle était fondée sur la pierre ». Ainsi écouter et pratiquer, c’est bâtir sur la pierre, puisqu’écouter c’est bâtir. « Mais, poursuit le Sauveur, celui qui entend ces paroles que je publie et qui ne les accomplit pas, je le comparerai à un insensé qui bâtit ». Lui donc aussi bâtit. Que bâtit-il ? « Il bâtit sa maison ». Mais comme il n’accomplit pas ce qu’il entend, il ne fait en entendant que « bâtir sur le sable ». Ainsi donc écouter sans pratiquer, c’est bâtir sur le sable ; écouter et pratiquer, c’est construire sur la pierre ; mais n’écouter même pas, c’est ne bâtir ni sur la pierre ni sur le sable. Et qu’arrive-t-il ? « La pluie est descendue, les fleuves sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison, et elle s’est écroulée et sa ruine a été grande[3] ». Quel triste spectacle !

9. Quelqu’un sans doute me dira : Ai-je besoin d’écouter ce que je ne dois pas accomplir, puisque en écoutant sans pratiquer je ne bâtirai que des ruines. N’est-il pas plus sûr de n’écouter pas ? – Le Seigneur n’a point voulu, dans sa comparaison, toucher à ce point de la question ; il a pourtant donné la solution à entendre. Dans cette vie, en effet, la pluie, les vents et les fleuves sont toujours en mouvement. Quoi ! C’est pour n’être pas renversé par eux que tu ne bâtis pas sur la pierre ? C’est pour qu’ils ne renversent pas ta demeure dans leur course que tu ne bâtis pas même sur le sable ? Tu veux donc, en n’écoutant pas, rester sans abri. Voici la pluie, voici les vents ; cours-tu moins de dangers, pour être enlevé, dépouillé de tout ? Eh ! quel sort ne te prépares-tu point ? Non, détrompe-toi, tu ne te mets pas en sûreté en n’écoutant pas ; sans abri et sans vêtements, tu seras inévitablement abattu, emporté et submergé. Or, si c’est un mal de bâtir sur le sable, un mal encore de ne bâtir pas, c’est qu’on ne fait bien qu’en bâtissant sur la pierre. Oui, c’est mal de n’écouter pas ; mal aussi d’écouter sans pratiquer ; il n’y a donc qu’à écouter et à pratiquer. « Accomplissez la parole, sans vous contenter de l’entendre ; ce qui serait vous tromper vous-mêmes ».

10. N’est-il pas à craindre qu’en vous excitant ainsi je ne vous fasse tomber dans le désespoir, au lieu de vous encourager par mes paroles ? Peut-être en effet que dans cette assemblée si nombreuse, quelqu’un, deux ou plusieurs se disent : Je voudrais savoir si celui qui nous parle de la sorte fait lui-même ce qu’il entend ou ce qu’il adresse aux autres. Je lui réponds : « Peu m’importe d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ». Sans doute, je puis savoir en partie ce que je suis aujourd’hui ; j’ignore ce que je serai demain. Pour toi qui t’inquiètes ainsi de moi, sois tranquille sous ce rapport ; Dieu le veut. Si je fais ce que je dis ou ce que j’entends, « soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ[4] ». Si au contraire je prêche sans pratiquer, écoute cette recommandation du Sauveur : « Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font ». Concluons que si tu me loues pour avoir bonne idée de moi, et que si tu m’accuses pour en penser mal, tu ne te justifies pas. Eh ! comment te justifierais-tu en lançant l’accusation contre un prédicateur indigne de la vérité qui t’annonce la parole de Dieu et qui vit mal ; puisque ton Seigneur, ton Rédempteur, puisque Celui qui a répandu son sang pour te racheter, pour t’enrôler sous ses drapeaux et de toi, son serviteur, faire son propre frère, te défend de me mépriser et te crie : « Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils

  1. Mat. 23, 3
  2. Ib. 7, 16. – Cette objection n’est pas résolue ici. Elle l’est précédemment. serm. 46, n. 22 150, n. 10
  3. Mat. 7, 24-27
  4. 1Co. 4, 3, 16