Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Dieu lui-même ? On craindrait de se parjurer au nom d’un fils, et on ose se parjurer au nom de son Dieu ? Dirait-on intérieurement Je crains que mon fils ne meure, si par lui je fais un faux serment ; mais Dieu ne meurt pas ; que craindre donc pour lui en jurant faux par lui ? Sans doute, Dieu ne perd rien, si tu jures faux par lui ; c’est toi qui perds beaucoup en prenant Dieu à témoin pour tromper ton frère. Supposition : Tu fais quelque chose en présence de ton fils, puis tu dis à un ami, à un parent ou à tout autre : Je ne l’ai pas fait ; tu vas même jusqu’à mettre la main sur la tête de ce fils que tu as eu pour témoin et jusqu’à dire : Par son salut, je ne l’ai pas fait. Tout tremblant sous la main de son père sans la craindre néanmoins, mais redoutant la main divine, ce fils ne s’écrierait-il point : Non, non, mon père, ne fais pas si peu de cas de mon salut ; tu as invoqué sur moi le témoignage de Dieu, je t’ai vu, tu as fait ce que tu nies, abstiens-toi du parjure ; il est vrai, tu es mon père, mais je crains davantage mon Créateur et le tien ?

8. Toutefois, quand tu en appelles au témoignage de Dieu, Dieu ne te dit pas : Je t’ai vu, ne jure pas, tu l’as fait ; et pourtant tu redoutes qu’il ne te donne la mort. Mais c’est toi qui te la donnes auparavant. De ce qu’il ne dit pas : Je t’ai vu, conclurais-tu que tu t’es dérobé à ses regards ? Eh ! n’est-ce pas lui qui s’écrie : « Je me suis tu, je me suis tu ; me tairai-je toujours[1] ? » D’ailleurs ne dit-il pas souvent Je t’ai vu ? ne le dit-il pas en punissant le parjure ? Il est vrai, il ne frappe pas tous les parjures, et c’est pourquoi ce crime se propage. J’en suis sûr, dit-on, un tel m’a fait un faux serment, et il vit. – Il t’a fait un faux serment, et il vit ? – Oui, il a fait un faux serment, et il vit ; assurément il a juré faux. – Tu te trompes. Ah ! si tu avais des yeux pour constater comme il est mort ; si tu comprenais ce que c’est qu’être mort et ce que c’est que ne l’être pas, tu saurais qu’il l’est réellement. Rappelle-toi seulement l’Écriture, et tu seras convaincu que loin d’être vivant comme tu te l’imagines, ce parjure est mort. Parce que ses pieds marchent, parce que ses mains touchent, que ses yeux voient, que ses oreilles entendent et que ses autres organes remplissent suffisamment leurs fonctions, tu crois cet homme vivant. C’est son corps qui est vivant ; quant à son âme, quant à cette portion meilleure de lui-même, elle est morte. La maison est vivante, celui qui l’occupe est mort. – Comment, répliqueras-tu, l’âme est-elle morte, quoique le corps soit vivant ? Le corps aurait-il la vie si l’âme ne la lui communiquait ? Comment peut être morte cette âme qui fait vivre le corps ? – Écoute, voici la doctrine. Le corps de l’homme est l’œuvre de Dieu, et l’âme également son œuvre. C’est par l’âme que Dieu fait vivre le corps, et l’âme il la fait vivre, non par elle, mais par lui. Il s’ensuit que l’âme est la vie du corps, et Dieu la vie de l’âme. Le corps meurt quand l’âme le quitte ; l’âme meurt à son tour, lorsque Dieu s’en sépare. L’âme quitte le corps si ce dernier reçoit un coup d’épée ; et Dieu ne quitterait point l’âme quand elle est blessée par le parjure ? Veux-tu constater que le coupable dont tu parles est vraiment mort ? Lis ce passage de l’Écriture : « La bouche qui ment donne la mort à l’âme[2] ». Tu croirais que Dieu voit et punit le parjure, si celui qui vient de te tromper par un faux serment expirait tout à coup. S’il expirait sous tes yeux, c’est son corps qui expirerait. Qu’est-ce à dire ? C’est son corps qui rejetterait le souffle qui l’anime. Expirer, en effet, c’est rejeter le souffle qui fait vivre le corps. Mais en se parjurant, il a repoussé le souffle ou l’esprit qui faisait la vie de son âme. Il est donc mort, mais à ton insu ; il est mort, mais tu ne le vois pas. Tu vois bien un cadavre étendu sans son âme ; tu ne saurais voir une âme infortunée privée de son Dieu. Crois-le donc, appelles-en au regard de la foi. Non, aucun parjure ne reste impuni, aucun ; il porte son châtiment avec lui. Il serait puni sans doute, si dans sa propre demeure un bourreau lui torturait le corps ; le bourreau de sa conscience est au fond de son cœur et on dira encore que son crime est impuni ? Que dis-tu, néanmoins ? – Cet homme m’a fait un faux serment, et pourtant il vit, il est dans la joie, dans les plaisirs ; pourquoi me parler de ce qui est invisible ? – Parce que Dieu, invoqué par lui, est invisible lui-même. Il a juré par l’Être invisible, il est frappé d’une invisible peine. – Mais, il vit, reprends-tu encore, il est même tout frémissant et tout

  1. Isa. 42, 14
  2. Sag. 1, 11