Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/144

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bouillant au milieu des plaisirs. – Si tu dis vrai, ces mouvements qui l’agitent et qui l’échauffent, sont comme les vers qui rongent son âme morte. Aussi tout homme prudent, dont le flair intérieur est resté pur, se détourne de ces parjures qui vivent dans les délices ; il ne veut ni les voir ni les entendre. Pourquoi cette aversion, sinon parce que l’âme morte exhale une odeur infecte ?

9. Maintenant, mes frères, voici en peu de mots la conclusion de ce discours ; puissé-je vous mettre au cœur une salutaire sollicitude ! « Avant tout gardez-vous de jurer ». Pourquoi « avant tout ? » C’est un crime énorme de se parjurer, mais il n’y a point de faute à jurer vrai ; pourquoi donc dire : « Avant tout, gardez-vous de jurer ? » L’Apôtre devait dire : Avant tout, gardez-vous d’être parjures ; mais non : « Avant tout, gardez-vous de jurer », dit-il. Est-ce plus de mal de jurer que de dérober ? de jurer que d’être adultère ? Je ne parle pas de jurer faux, mais simplement de jurer ; or, est-ce plus de mal de jurer que de tuer un homme ? Loin de nous cette idée. Il y a péché à tuer, à commettre l’adultère, à dérober ; ce n’est pas un péché de jurer, mais c’en est un de jurer faux. Pourquoi donc « Avant tout ? » C’est pour nous tenir en garde contre notre langue. « Avant tout » signifie Soyez singulièrement attentifs, veillez avec soin pour ne contracter pas l’habitude de jurer. Tu dois être en quelque sorte en sentinelle contre toi-même : « Avant tout », te voilà, pour t’observer, élevé au-dessus de tout. C’est que l’Apôtre sait combien tu jures. Par Dieu, par le Christ, je le tue ; combien de fois parles-tu ainsi dans un jour, dans une heure ? Tu n’ouvres guère la bouche que pour ces sortes de serments. Et tu ne voudrais pas que l’on dît : « Avant tout », afin de te rendre tout à fait attentif sur cette habitude funeste ; afin de te porter à examiner tout ce qui te concerne, de te mettre sérieusement en garde contre tous les mouvements de ta langue, de te tenir en éveil et de te faire réprimer cette habitude détestable ? Prête donc l’oreille à ces mots : « Avant tout ». Tu étais endormi ; je te frappe en disant : « Avant tout », je te frappe avec des épines. À quoi donc t’invite « Avant tout ? » A veiller avant tout, à être avant tout attentif.

10. Nous aussi nous avons, Hélas ! juré souvent ; nous avons eu cette hideuse et meurtrière habitude. Mais je le déclare devant votre charité, depuis que nous nous sommes mis au service de Dieu, et que nous avons compris l’énormité du parjure, nous nous sommes senti saisi de crainte, et cette crainte profonde nous a aidé à réprimer cette fatale habitude. Une fois réprimée, elle perd de sa force, tombe en langueur, puis elle expire pour être remplacée par une bonne. Toutefois nous ne voulons point dire que nous ne jurons jamais ; ce serait mentir. Pour mon propre compte, je jure ; mais seulement, je le crois, lorsque j’y suis contraint par une nécessité sérieuse. Ainsi je remarque qu’on ne me croit pas si je ne fais serment, et qu’on perd beaucoup à ne pas me croire : c’est une raison que je pèse, une circonstance que j’examine avec soin ; puis, pénétré d’une crainte profonde, je dis : Devant Dieu, ou bien : Dieu m’est témoin ; ou encore : Le Christ sait que je parle sincèrement. Je comprends que c’est plus que de dire : « Oui, oui, non, non » ; et que « ce plus vient du mal » ; mais ce n’est pas du mal de celui qui jure, c’est du mal de celui qui ne croit pas. Aussi le Seigneur ne dit-il pas que celui qui fait plus est coupable ; il ne dit pas : Que votre langage soit : oui, oui, non, non ; dire plus, c’est être mauvais ; il dit : « Que votre langage soit : oui, oui, non, non ; ce qui est de plus vient du mal[1] ». À toi de chercher du mal de qui ? Ce n’est pas, hélas ! ce que présentent les mœurs détestables des hommes. On te croit, et tu jures ; on n’exige pas ton serment, et lu le fais ; tu le fais devant ceux mêmes qui en ont horreur ; tu ne cesses de jurer, n’es-tu pas coupable de quelque parjure ? Vous imagineriez-vous donc, mes Frères, que si l’apôtre Paul avait su que les Galates eussent ajouté foi à ses paroles, il leur aurait dit avec serment : « Quant à ce que je vous écris, voici, devant Dieu, que je ne mens pas[2] ? » Mais s’il en voyait parmi eux qui croyaient, il en voyait d’autres qui ne croyaient pas. Toi donc aussi ne refuse pas le serment lorsqu’il est nécessaire. Il vient du mal sans doute, mais du mal de celui qui l’exige ; car il est pour toi un moyen indispensable, soit de te justifier, soit d’accomplir un autre devoir pressant. N’oublie pas d’ailleurs qu’il est bien différent de se voir imposer le serment ou de l’offrir soi-même, et quand on l’offre, de l’offrir à qui ne te

  1. Mat. 5, 37
  2. Gal. 1, 20