Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/152

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mal ? » Ne prétends-tu point que le mal ne subsiste pas ? – Réponds-lui : C’est moi qui suis mal, et si Dieu me délivre du mal, je serai bon, de mauvais que je suis. Ah ! qu’il me délivre de moi, pour que je ne me jette pas en toi. Quant au Manichéen, dis-lui : Si Dieu me délivre de moi, je ne m’abandonnerai pas à toi. En effet, si Dieu me délivre de moi, qui suis mauvais, je serai bon ; si je suis bon, je serai sage ; si je suis sage, je ne m’égarerai pas ; et si je ne m’égare pas, je ne pourrai être séduit par toi. Oui, que Dieu me délivre de moi, pour que je ne me livre pas à toi. Le mal en moi serait de m’égarer et de te croire ; car mon âme est remplie d’illusions[1]. Pour moi donc je ne suis pas lumière ; lumière, je ne m’égarerais pas. C’est ce qui prouve que je ne suis pas une portion de la divinité. En effet, la nature de Dieu, la substance même de Dieu ne saurait tomber dans l’erreur. Or j’y tombe, moi ; tu l’avoues toi-même, puisque avec la prétention d’être sage tu travailles à me sauver de l’erreur. Mais tomberais-je dans l’erreur, si j’étais de la nature de Dieu ? Rougis et rends-lui gloire. Je soutiens même qu’aujourd’hui encore tu es dans de profondes erreurs, et tu avoues, toi, avoir été dans l’égarement. C’était donc la nature de Dieu qui s’était égarée ? la nature de Dieu qui se plongeait dans la débauche ? la nature de Dieu qui se livrait à l’adultère ? la nature de Dieu qui commettait des abominations ? la nature de Dieu qui marchait en aveugle ? la nature de Dieu qui se précipitait dans toutes sortes de forfaits et d’impuretés ? Rougis et rends gloire à Dieu.

5. Tu ne saurais être ta propre lumière, non, non. « Il existait une lumière véritable ». C’est par rapport à Jean qu’il est écrit : « Il existait une vraie lumière ». – Mais Jean n’était-il pas lumière aussi ? « Il était un flambeau ardent et luisant », a dit de lui le Seigneur[2]. – Mais un flambeau n’est-il pas une lumière ? Sans doute, mais il est parlé ici de « la lumière véritable ». On peut allumer un flambeau, on peut aussi l’éteindre. Quant à la lumière véritable, on peut y allumer, mais on ne saurait l’éteindre. « Celui-là donc était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde[3] ». Ainsi nous avons besoin d’être éclairés et nous ne sommes pas la lumière. Réveille-toi donc et crie avec moi ; « C’est Seigneur qui m’éclaire[4] ». Et maintenant, diras-tu encore qu’il n’y a pas des choses mauvaises ? Il y en a, mais et sont susceptibles de changement ; et une fois changées elles sont bonnes, attendu que mal est en elles un défaut et non pas leur nature. Que signifie : « Délivrez-nous du mal ? » Ne pourrions-nous pas, ne pouvons-nous dire encore : Délivrez-nous des ténèbres ? De quel ténèbres ? De nous-mêmes, s’il y reste encore quelques traces d’erreurs, et jusqu’à ce que nous ne soyons plus que lumière, ne ressentant plus rien d’opposé à la charité, d’opposé à la vérité, rien qui soit sujet à la faiblesse, rien qui fléchisse sous le poids de la mortalité. Ah ! quelle transformation totale, lorsque corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, lorsque ce corps mortel se revêtira d’immortalité ! « Alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort est anéantie dans sa victoire. O mort, où est ton ardeur au combat ? O mort, où est ton aiguillon ? Cet aiguillon de la mort est le péché[5] ». Où donc alors sera le mal ?

6. Quels sont maintenant les maux de l’humanité ? L’ignorance et la faiblesse. Car ou on ne sait ce qu’on fait, et l’erreur fait pécher, ou on sait ce qu’on doit faire, et on est vaincu par la faiblesse. D’où il suit que tous les maux de l’humanité consistent dans l’ignorance et la faiblesse. Pour combattre l’ignorance, écrie-toi : « Le Seigneur est ma lumière » ; et pour combattre la faiblesse : « Il est aussi mon salut[6] ». Aie la foi, travaille à devenir bon, et tu le seras, si mauvais que tu sois aujourd’hui. Point de scission ; c’est ta nature qu’il faut guérir et non diviser. Veux-tu savoir ce que tu es ? Ténèbres. Pourquoi ténèbres ? Eh ! mon ami, se peut-il rien de plus ténébreux qu’un homme qui prétend que Dieu est corruptible ? Crois donc, reconnais que le Christ est venu s’incarner ; qu’il a pris ce qu’il n’était pas, sans rien perdre de ce qu’il était ; qu’il a élevé l’homme jusqu’à lui, sans confondre sa nature avec la nature de l’homme. Reconnais cela, et de pervers tu deviendras bon ; de ténèbres, lumière. Est-ce une assertion fausse, et n’y a-t-il pas de quoi te convaincre ? Tu reconnais l’autorité de l’Apôtre moins toutefois que tu ne manques de sincérité

  1. Psa. 37, 8
  2. Jn. 5, 35
  3. Id. 1, 9
  4. Psa. 26, 1
  5. 1Co. 15, 53-56
  6. Psa. 36, 1