Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/167

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un même Dieu avec son Père. Quant au monde, Dieu l’a créé ; et le monde passe, tandis que Dieu demeure ; et comme rien de ce qui est fait n’a pu se faire, ainsi Celui qui a pu tout faire n’a été fait par personne. Il n’est donc pas surprenant qu’ayant été fait comme tout le reste, l’homme ne trouve point de paroles pour expliquer la Parole qui a fait tout.

2. En écoutant toutefois et en réfléchissant un peu, peut-être pourrons-nous parler avec quelque convenance et quelque dignité, non « pas du Verbe en tant qu’il était au commencement, qu’il était en Dieu et qu’il était « Dieu », mais du Verbe en tant qu’il « s’est fait chair » ; peut-être pourrons-nous parler du motif pour lequel il « a habité parmi nous[1] ». Ne permettrait-il point de parler de lui là où il s’est rendu visible ? et n’est-ce point parce qu’il a voulu se montrer à nos yeux que nous solennisons ce jour où il a daigné naître d’une Vierge ? N’a-t-il pas voulu aussi que des hommes rapportassent à leur manière cette génération humaine ; au lieu que dans cette haute éternité où il est né égal à Dieu son Père, « qui rapportera sa génération[2] ? » Il n’y a point là de jour particulier à célébrer avec plus de solennité ; le jour n’y passe point pour revenir chaque année, car il y est sans fin comme il y a été sans commencement ; et ce jour éternel n’est autre que le Verbe unique de Dieu, lui qui est la vie et la lumière des hommes ; au lieu que le jour actuel où après s’être incarné il s’est montré comme l’époux qui sort du lit nuptial, s’appelle maintenant aujourd’hui comme demain s’appellera hier ; et si ce jour actuel tend à glorifier le Fils éternel de la Vierge, c’est que lui-même l’a consacré en naissant d’elle aujourd’hui. Comment donc louer cet amour d’un Dieu ? comment lui rendre grâces ? Quelle affection en effet ne nous témoigne-t-il pas ? C’est lui qui a fait les temps, et pour nous il est né dans le temps ; son éternité le rend bien plus ancien que le monde, et pour nous il s’est fait dans le monde plus jeune que beaucoup de ses serviteurs ; il a fait l’homme et il s’est fait homme ; il est né d’une Mère après l’avoir créée, il est prié sur les bras que lui-même a formés, attaché au sein qu’il remplit, faisant entendre dans une étable les vagissements inarticulés de l’enfance muette, quand il est le Verbe sans lequel est réduite au silence toute éloquence humaine.

3. Contemple, ô mortel, ce que Dieu s’est fait pour toi ; et de ce docteur qui ne parle pas encore apprends combien sont profonds ses abaissements. Telle était ta faconde au paradis terrestre qu’elle te permit de donner des noms à tout être vivant[3] : et ton Créateur, pour l’amour de toi, est couché sans parole, sans appeler même sa Mère par son nom. Dans ce parc immense couvert d’arbres chargés de fruits, tu t’es perdu en négligeant d’obéir ; et lui est descendu par obéissance et comme un mortel dans cette étroite demeure pour y chercher les morts en se dévouant à mourir. Tu n’étais qu’un homme et, pour ta perte, tu as voulu être Dieu[4] ; lui était Dieu, et, pour retrouver ce qui était perdu, il a voulu se faire homme. Enfin tu t’es laissé tellement accabler par l’orgueil humain, que tu n’as pu être relevé que par une humilité divine.

4. Avec joie donc célébrons ce jour où on a vu Marie enfanter son Sauveur ; une femme l’Instituteur de l’union conjugale, une Vierge le Roi des vierges, une épouse devenir mère sans époux, une Vierge rester toujours Vierge, pendant comme avant le mariage, en portant dans son sein et en allaitant son Fils. Ce Fils tout-puissant aurait-il, après sa naissance, dépouillé sa sainte Mère de cette virginité qui avait attiré sors choix avant sa naissance ? La fécondité du mariage est louable sans doute ; mais l’intégrité virginale est préférable encore. Aussi le Christ fait homme, le Christ qui est en même temps Dieu et homme, ayant comme Dieu le pouvoir d’octroyer à sa Mère ce double privilège, ne lui accorderait pas le moindre, celui que convoitent les époux, pour la dépouiller du plus précieux, de celui qu’ambitionnent les vierges en dédaignant de devenir mères. De là vient que l’Église, qui est vierge aussi, célèbre aujourd’hui le miraculeux enfantement de cette Vierge. N’est-ce pas à l’Église que l’Apôtre a dit : « Je travaille à vous présenter, comme une vierge chaste, au Christ votre unique Epoux[5] ? » Composée de ces peuples nombreux formés des deux sexes, de tant de jeunes hommes et de tant de jeunes filles, de pères et de mères unis par les liens du mariage, comment l’Église est-elle appelée une vierge

  1. Jn. 1, 1, 14.
  2. Isa. 53, 8.
  3. Gen. 1, 19-20.
  4. Id. III.
  5. 2Co. 11, 12.