Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/210

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avènement, auraient voulu le voir vivant, mais ils ne l’ont point vu, parce qu’ils avaient reçu de Dieu une autre mission : au lieu d’être destinés à l’entendre quand il serait venu, ils devaient annoncer qu’il viendrait. Aussi bien voici ce qu’il disait d’eux à ses disciples : « Beaucoup de justes et de prophètes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont point vu ; entendre ce que vous entendez et ne l’ont point entendu[1] ». Quant à nous, nous ressentons l’accomplissement de ces autres paroles de même nature : « Viendra un temps où vous désirerez voir un des jours actuels, mais vous ne le pourrez[2] ».

5. Qui ne ressent l’ardeur de ces saints désirs ? Qui n’est ici en deuil ? qui ne pousse de douloureux gémissements ? Qui ne s’écrie : « Mes larmes m’ont servi de pain la nuit et le jour, pendant qu’on ne cesse de me dire : Où est ton Dieu[3] ? » Nous croyons sans doute que déjà il siège à la droite du Père ; il n’en est pas moins vrai que nous sommes loin de lui pendant que nous vivons dans ce corps[4], et qu’aux esprits sceptiques ou incrédules nous ne pouvons le montrer quand ils nous répètent : « Où est ton Dieu ? » Ah ! l’Apôtre avait raison de souhaiter la mort pour être avec Jésus-Christ ; de ne pas considérer la conservation de sa vie comme un bonheur pour lui, mais comme un besoin pour nous[5]. Ici en effet les pensées des mortels sont timides et leurs prévoyances incertaines, parce que cette habitation de boue réprime l’essor de l’esprit[6]. Et de là vient que cette vie sur la terre est une tentation perpétuelle[7], et que durant cette nuit du siècle le lion rôde et cherche à dévorer[8]. Il ne s’agit pas ici de ce Lion de la tribu de Juda que nous appelons notre Roi[9], mais du démon, notre ennemi. Car notre Roi réunit en lui seul les caractères des quatre animaux qui figurent dans l’Apocalypse de saint Jean ; il est né comme un homme, il a travaillé comme un lion, il a été immolé comme la victime des sacrifices, il a pris ensuite son essor comme l’aigle[10] ; « il s’est élevé sur l’aile des vents, et il a choisi les ténèbres pour retraite[11]». Lui-même a produit ces ténèbres qui ont amené la nuit, et voilà que passent toutes les bêtes des forêts, et avec elles les lionceaux qui rugissent, c’est-à-dire les hommes qui nous tentent et que le démon lance contre nous pour chercher à nous dévorer. Il est vrai néanmoins qu’ils n’en ont le pouvoir qu’autant qu’ils l’ont reçu ; aussi le psaume ajoute-t-il : « Demandant à Dieu leur pâture[12] ». Au milieu des ténèbres d’une nuit si dangereuse, si pleine de tentations, qui ne craindrait ? qui ne tremblerait de tous ses membres ? qui n’aurait peur de mériter d’être jeté dans la gueule d’un ennemi si cruel pour être dévoré par lui il faut donc jeûner et prier.

6. Quand, surtout, quand le faut-il faire avec plus d’ardeur qu’aux approches de la solennité de la Passion du Sauveur ; puisque cette solennité, qui revient chaque année, a pour but de graver en quelque sorte de nouveau dans nos âmes le souvenir de la nuit où nous ! vivons, de nous prémunir contre l’oubli, contre le sommeil spirituel durant lequel nous pourrions être surpris par cet ennemi rugissent et dévorant. Qu’est-ce en effet que dans la personne de Jésus-Christ notre Chef, nous apprend surtout la Passion du Sauveur ? N’est-ce pas les tentations de cette vie ? Aussi dit-il à Pierre, quand approchait l’heure de sa mort ; « Satan a demandé à vous secouer comme le froment ; mais moi, j’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille point ; va et affermis tes frères[13] ». Ne nous a-t-il pas affermis par son apostolat, par son martyre, par ses épîtres ? On voit même qu’il nous parle, dans ces dernières, de la nuit redoutable dont il est ici question, et qu’il nous invite à veiller, à être sur nos gardes, à nous ranimer par le souvenir des prophéties qu’il compare à un flambeau nocturne. « Nous avons, dit-il, la parole plus ferme des Prophètes, à laquelle vous faites bien d’être attentifs, comme à une lampe qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le Jour se lève et que l’Étoile du matin rayonne dans vos cœurs[14] ».

7. Ainsi donc ceignons-nous les reins, que nos lampes soient toujours allumées, et imitons les serviteurs qui attendent que leur maître revienne des noces[15]. Au lieu de nous dire l’un à l’autre : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons[16] » ; jeûnons et prions avec d’autant plus d’ardeur que le moment à notre mort est plus incertain, et le temps de la vie plus douloureux ; oui, demain nous mourrons. « Encore un peu de temps, dit le Sauveur, et

  1. Mat. 13, 17
  2. Luc. 17, 22
  3. Psa. 41, 4
  4. 2Co. 5, 6
  5. Phi. 1, 23-24
  6. Sag. 9, 14-15
  7. Job. 7, 1
  8. 1Pi. 5, 8
  9. Apo. 5, 5
  10. Id. 4, 7
  11. Psa. 27, 11-12
  12. Psa. 103, 20-21
  13. Luc. 22, 31-32
  14. 2Pi. 1, 19
  15. Luc. 12, 35-36
  16. 1Co. 15, 32