Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/211

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vous ne me verrez plus ; puis, encore un peu de temps, et vous me reverrez ». Nous voici à l’époque dont il disait : « Vous serez dans la tristesse, et le siècle dans la joie » ; car cette vie est remplie de tentations et nous y sommes loin du Seigneur. « Cependant je vous reverrai, poursuit le Sauveur, et votre cœur sera dans la joie, et cette joie, personne ne vous l’enlèvera[1] ». Cet espoir, fondé sur de si sûres promesses, nous cause dès maintenant quelque sorte de joie, en attendant que nous goûtions cette joie surabondante, quand nous lui serons semblables, pour le voir tel qu’il est[2], et que cette joie ne nous sera enlevée par personne. Comme gage heureux et gratuit de cette espérance, n’avons-nous pas reçu l’Esprit-Saint, lui qui éveille dans nos cœurs les gémissements ineffables des saints désirs ? « Nous avons conçu, comme parle Isaïe, et nous avons enfanté l’esprit de salut[3] ». Or, « lorsqu’une femme enfante, dit le Seigneur, elle est dans la tristesse, parce que son jour est venu ; mais devenue mère, elle goûte une grande joie pour avoir donné un homme au siècle[4] ». Telle sera pour nous la joie qui ne nous sera point ôtée, et dont nous serons transportés en passant des obscurités de la foi où nous sommes conçus en quelque sorte, au grand jour de l’éternelle lumière. Maintenant donc qu’on nous enfante, jeûnons et prions.

8. C’est ce que fait dans tout l’univers, où il est répandu, le corps entier du Christ, c’est-à-dire l’Église, cette communauté qui s’écrie dans un psaume : « J’ai crié vers vous des extrémités de la terre, quand mon cœur était dans l’angoisse[5] ». Ce qui, nous fait comprendre déjà pourquoi cette humiliation solennelle doit durer quarante jours. En criant des extrémités de la terre, lorsque son cœur est dans l’angoisse, l’Église crie, des quatre parties du monde, qui figurent souvent dans l’Écriture sous les noms d’Orient et d’Occident, de Nord et de Midi. Or ; dans toutes ces parties de l’univers a été publié le Décalogue, non-seulement pour inspirer la frayeur de la lettre, mais encore pour être accompli avec la grâce de l’amour. Multiplions dix par quatre, nous obtenons le nombre de quarante. Cependant nous avons à nous débattre encore contre les tentations, à solliciter le pardon de nos fautes. Qui de nous en effet accomplit parfaitement ce précepte : « Tu ne convoiteras pas[6] ? » Il faut donc jeûner et prier, sans cesser de faire le bien. Ce travail finira par recevoir la récompense désignée dans l’Écriture sous le nom de denier[7]. Or le mot denier, denarius, vient de dix, decem, comme ternarius de tres, quaternarius de quatuor, quatre. En unissant ce terme à quarante, comme l’expression de la récompense due au labeur chrétien, on parvient au nombre cinquante, lequel désigne ainsi l’époque heureuse où nous goûterons la joie que nul ne nous enlèvera. Nous ne la goûtons pas encore durant cette vie ; cependant, lorsque nous avons célébré la Passion du Seigneur, ne la faisons-nous pas résonner en quelque sorte pendant les cinquante jours qui suivent la résurrection, quand notre jeûne est interrompu et qu’en chantant les divines louanges nous répétons l’Alleluia ?

9. Maintenant donc et pour vous éviter d’être circonvenus par Satan, je vous exhorte, mes bien-aimés, au nom de Jésus-Christ, de vous appliquer à apaiser Dieu par le jeûne de chaque jour, de plus abondantes aumônes et des prières plus ferventes. Nous voici au temps où on doit s’abstenir entre époux afin de vaquer à la prière, quoiqu’on doive le faire aussi à certains jours dans le cours de l’année et d’autant plus avantageusement qu’on le renouvelle plus souvent ; car user sans mesure d’une permission, c’est offenser celui qui l’a accordée. L’oraison, d’ailleurs, étant une œuvre spirituelle, est d’autant plus agréable à Dieu qu’elle se fait plus spirituellement. Or, elle se fait d’autant plus spirituellement qu’en l’adressant à Dieu on est plus dégagé des plaisirs sensuels. Moïse, le ministre de la loi, a jeûné quarante jours ; quarante jours aussi a jeûné le grand prophète Élie, ainsi que le Seigneur lui-même, à qui ont rendu témoignage la loi et les Prophètes. Aussi se montra-t-il avec eux sur la montagne. Pour nous, qui ne pouvons soutenir un jeûne aussi long, sans prendre aucun aliment durant tant de jours et tant de nuits, faisons au moins ce que nous pouvons ; et en dehors des jours où pour des motifs spéciaux la coutume de l’Église interdit le jeûne, rendons-nous agréables au Seigneur notre Dieu en jeûnant chaque jour ou fréquemment.

  1. Jn. 16, 19-22
  2. 1Jn. 3, 2
  3. Isa. 26, 18
  4. Jn. 16, 21
  5. Psa. 60, 3
  6. Exo. 20, 17
  7. Mat. 20, 2-13