Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/22

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que nous placions tout notre espoir dans la chair ou dans nous, « les passions du péché, occasionnées par la loi », durent à la loi même un nouvel accroissement. La défense de la loi n’a servi qu’à rendre prévaricateur, et on est devenu prévaricateur pour ne s’être pas appuyé sur Dieu. « Elles agissaient donc dans nos membres, afin de leur faire porter du fruit, pour qui ? pour la mort ». Mais si le pécheur devait être condamné, que peut-il espérer, une fois devenu prévaricateur ?

9. Si donc, ô mortel, tu es vaincu par la concupiscence, si tu es vaincu par elle, c’est que tu occupais un terrain désavantageux ; tu étais dans ta chair, voilà pourquoi tu as été battu. Quitte ce poste funeste. Que crains-tu ? Je ne te dis pas : Meurs. Ne crains pas, si je t’ai dit : Quitte la chair. Je ne te dis pas de mourir, et pourtant je t’invite à mourir. Si vous êtes morts avec le Christ, cherchez ce qui est en haut. Tout en vivant dans la chair, ne reste pas dans la chair. « Toute chair n’est que de l’herbe, tandis que le Verbe de Dieu subsiste éternellement[1] ». Réfugie-toi dans le sein du Seigneur. La concupiscence s’élève, elle te presse, elle acquiert de nouvelles forces, la défense même de la loi redouble sa vigueur, tu as affaire à un ennemi terrible : ah ! réfugie-toi dans le sein du Seigneur, qu’il soit pour toi, en face de l’ennemi, une forte tour de défense[2]. Ne reste donc pas dans ta chair, mais vis dans l’Esprit. Qu’est-ce à dire ? Place en Dieu ta confiance. Eh ! si tu la plaçais en ton esprit d’homme, cet esprit retomberait bientôt dans la chair pour n’avoir pas été confié par toi à celui qui peut le soutenir ; car il rie peut se soutenir si on ne le soutient. Ne reste pas en toi, monte au-dessus de toi et te place dans celui qui t’a fait. Avec la confiance en toi-même, tu deviendras prévaricateur de la loi qui te sera donnée. L’ennemi effectivement te trouve sans asile et il se jette sur toi ; prends garde qu’il ne t’enlève comme un lion dévorant, sans que personne t’arrache à lui[3] ; sois attentif à ces paroles où, tout en louant la loi, l’Apôtre s’accuse, se reconnaît coupable sous l’autorité de la loi, et te représente peut-être dans sa personne : « Je n’ai connu, te dit-il, le péché que par la loi ; car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi ne disait : « Tu ne convoiteras point. Or, prenant occasion du commandement, le péché a excité en moi toute concupiscence ; car, sans la loi, le péché était mort ». Que signifie cette mort ? Que le péché est inconnu, qu’on n’en voit point, qu’on n’y pense pas plus qu’à un cadavre enseveli. « Mais quand est venu le commandement, le péché a revécu ». Qu’est-ce à dire encore ? Que le péché a commencé à se montrer, à se faire sentir, à s’insurger contre moi.

10. « Et moi je suis mort ». Qu’est-ce à dire ? Je suis devenu prévaricateur. « Et il s’est trouvé que ce commandement qui devait me donner la vie ». Remarquez cet éloge de la loi : « le commandement qui devait me donner la vie ». Quelle vie, d’être sans convoitise ! Oh ! quelle douce vie ! Il y a du plaisir dans la convoitise, c’est vrai, et les hommes ne s’y abandonneraient pas s’ils n’y en trouvaient. Le théâtre, les spectacles, les amours lascifs, les chants efféminés plaisent à la convoitise ; la convoitise y trouve des jouissances, des agréments, des délices ; mais les impies m’ont parlé de leurs plaisirs, et ils ne sont pas comme votre loi, Seigneur[4] ». Heureuse l’âme qui goûte ces délices de la loi divine, où rien de honteux ne souille, où le pur éclat de la vérité sanctifie. Celui toutefois qui aime ainsi la loi de Dieu et qui l’aime au point de dédaigner tous les plaisirs charnels, ne doit pas s’attribuer les délices de cet amour : « C’est le Seigneur qui répandra la suavité[5] ». Laquelle demanderai-je, Seigneur ? Dirai-je indistinctement l’une ou « l’autre ? Vous êtes doux, Seigneur, et dans votre suavité enseignez-moi vos justices[6] ». Enseignez-moi dans votre suavité ; car vous m’enseignez alors, et lorsque vous m’enseignez ainsi dans votre suavité, j’apprends véritablement à pratiquer. Il est vrai, quand l’iniquité a pour l’âme encore des attraits et des charmes, la vérité semble amère. Oh ! « enseignez-moi avec votre suavité » ; et pour me faire aimer la vérité, que votre onction si douce me remplissez de mépris pour l’iniquité. Il y a dans la vérité infiniment plus de valeur et plus de charmes ; mais pour goûter ce pain délicieux, il faut jouir de la santé. Est-il rien de meilleur et de plus précieux que le pain céleste ? Il faut néanmoins que l’iniquité n’ait point agacé les dents. «

  1. Isa. 40, 6
  2. Psa. 60, 4
  3. Psa. 49, 22
  4. Psa. 118, 85
  5. Psa. 84, 13
  6. Psa. 118, 68