Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/23

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 Comme le raisin vert est aux dents et la fumée aux yeux, dit l’Écriture, ainsi le péché à ceux qui s’y abandonnent[1] ». Que vous sert donc de louer le pain du ciel, si vous vivez mal ; puisqu’en le louant vous n’en mangez pas ? Il est bien d’écouter la parole sainte, d’écouter et de louer la parole de justice et de vérité : il est mieux encore de la pratiquer. Pratique-la, puisque tu en fais l’éloge. Diras-tu : Je le voudrais, mais je ne le puis ? Pourquoi ne le peux-tu ? C’est que tu n’as pas la santé. Mais comment l’as-tu perdue, sinon en offensant le Créateur par tes crimes ? Afin donc de pouvoir manger avec plaisir et conséquemment en pleine santé ce pain divin que tu vantes, écrie-toi : « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous[2] ». Voilà dans quel sens « il s’est trouvé que le commandement qui devait me donner la vie, m’a causé la mort ». Le pécheur, avant le commandement, ne se connaissait pas ; depuis, il est devenu ostensiblement prévaricateur. Ainsi a-t-il rencontré la mort dans ce qui devait lui communiquer la vie.

11. « Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, m’a séduit, et par lui m’a tué ». C’est ce qui est arrivé d’abord dans le paradis. « Le péché m’a séduit en prenant occasion du commandement ». Remarque le langage insinuant du serpent à la femme. Il lui demande ce que Dieu leur a prescrit. « Dieu nous a dit, répond-elle : Vous mangerez de tous les arbres qui sont dans le paradis, mais vous ne toucherez pas à l’arbre de la science du bien et du mal ; autrement, vous mourrez de mort ». Tel est le précepte divin. Le serpent, au contraire : « Non », dit-il, « vous ne mourrez pas de mort. Car Dieu savait que le jour où vous mangerez du fruit de cet arbre, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux[3] – Ainsi, « prenant occasion du commandement, le péché m’a trompé, et par lui m’a tué ». Ton ennemi t’a mis à mort avec l’épée que tu portais ; avec tes propres armes il t’a vaincu, avec elles il t’a égorgé. Reprends en main ce commandement, et sache que c’est une arme pour ôter la vie à ton ennemi et non pour être abattu par lui. Mais garde-toi de présumer de tes forces. Vois le petit David en face de Goliath, l’enfant en face du géant. Cet enfant se confie au nom du Seigneur. « Tu viens à moi, dit-il, avec le bouclier et la lance ; pour moi je t’aborde au nom du Seigneur tout-puissant[4] ». Voilà, voilà par quel moyen il renverse ce colosse, il n’en triomphe pas autrement, et cet homme qui s’appuie sur sa force tombe avant même de combattre.

12. Remarquez cependant, mes bien-aimés, remarquez de plus en plus que l’apôtre Paul, pour condamner l’aveuglement des Manichéens, fait l’éloge le plus manifeste de la loi divine. Il ajoute en effet : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon ». Que se peut-il ajouter à cet éloge ? Par ce mot : « Loin de là », saint Paul avait précédemment repoussé une accusation, mais sans louer la loi ; autre chose effectivement est de réfuter un reproche et autre chose de décerner des louanges méritées. Voici le reproche : « Que dirons-nous donc ? La loi péché ? » En voici la réfutation : « Loin de là ». Ce seul mot suffit pour soutenir la vérité, attendu la grande autorité du défenseur. Pourquoi en dirait-il davantage ? C’est assez de prononcer : « Loin de là ! » – « Voulez-vous, dit-il ailleurs, faire l’expérience de Celui qui parle en moi, du Christ[5] ? » Il fait maintenant davantage : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon ».

13. « Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort ? Loin de là » ; car ce qui est bon n’est pas la même chose que la mort. « Mais le péché, pour se montrer péché, a, par ce qui est bon, opéré pour moi la mort ». Ce n’est pas la loi, c’est le péché qui est la mort. Il avait dit précédemment : « Sans la loi le péché est mort » ; et je vous faisais observer que le péché mort signifiait ici le péché caché, le péché inconnu. Avec quelle exactitude dit-il maintenant, au contraire : « Le péché, pour se montrer péché ! » Comment, « pour se montrer péché? » C’est que j’ignorerais la concupiscence, si la loi ne disait : « Tu ne convoiteras point ». Nous ne lisons pas. Je ne ressentirais point la concupiscence, mais : « J’ignorerais la concupiscence ». Ici également nous ne lisons pas : Le péché pour exister, mais : « Le péché, pour se montrer péché, a, par ce qui est bon, opéré pour moi la mort ». Quelle mort ? De sorte que c’est

  1. Pro. 10, 26
  2. Psa. 40, 5
  3. Gen. 3, 2-5
  4. 1Sa. 17, 45
  5. 2Co. 13, 3