Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/224

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croire aussi qu’il n’est absolument aucune nature qu’il n’ait formée ; et s’il punit le péché qu’il n’a pas fait, c’est parce que le péché souille la nature qu’il a faite. Par conséquent toutes, les créatures visibles et invisibles : soit celles dont l’âme raisonnable peut connaître l’immuable vérité, comme les anges et les hommes ; soit celles qui ont la vie et le sentiment, mais sans avoir l’intelligence, comme tous les animaux qui se meuvent sur la terre, au milieu des eaux et dans l’air, quadrupèdes, reptiles, poissons, oiseaux ; soit celles qui sont privées d’intelligence et de sens, mais non d’une vie telle quelle, comme les plantes qui fixent en terre leurs racines pour s’élever en germant et s’épanouir dans les airs ; soit celles qui se bornent à occuper quelque espace, comme les pierres, comme les éléments que nous pouvons voir ou toucher dans ce monde matériel ; toutes enfin ont été créées par le Tout-Puissant, qui a eu soin d’unir entre eux les extrêmes par des milieux et de faire apparaître chacune de ses œuvres à la place et au temps qui leur conviennent. Mais il ne les a pas formées d’une matière préexistante dont il ne serait pas l’auteur ; il n’a point travaillé sur un fonds étranger, il a tout fait dans ses œuvres. Prétendre qu’il n’a pu faire rien avec rien, serait-ce croire qu’il est tout-puissant ? C’est sûrement le nier, que de croire, qu’il n’aurait pu former le monde sans une matière préexistante. Quelle toute-puissance en effet, quand il y aurait eu en lui tant de faiblesse, que pareil à un artisan vulgaire il n’aurait pu produire son œuvre sans le concours d’une matière qui ne lui devrait – pas l’existence ? Bannis donc de ton esprit ces idées vaines et mensongères, toi qui crois en Dieu tout-puissant. D’ailleurs cette matière qu’on appelle informe et qu’on dit susceptible de prendre des formes diverses et de servir aux desseins du Créateur, peut réellement se prêter à toutes les modifications qu’il voudra lui imprimer. Dieu, pour créer le monde, ne l’a point rencontrée comme un être qui lui fût coéternel ; il l’a tirée entièrement du néant, aussi bien que ce qu’il a fait avec elle. Elle n’a point précédé les œuvres qu’elle a servi à former ; aussi le Tout-Puissant, dès l’origine, a tiré tout de rien, la matière première, comme le reste. Si donc le ciel et la terre ont été créés au commencement, cette matière dont ils ont été formés a été créée en même temps qu’eux. Non, Dieu n’a rien trouvé sous sa main pour faire ce qu’il a fait dès le principe ; il ne l’a pas moins fait, parce qu’il est tout-puissant, pour y mettre ensuite l’ordre ; la perfection et la beauté ; et sa toute-puissance éclate, non-seulement parce qu’il a fait de rien ce qu’il a fait au commencement, mais encore parce qu’il a pu faire tout ce qu’il a voulu avec ce qu’il a créé d’abord.

3. Si les impies agissent souvent à l’encontre de la volonté divine, qu’ils n’en concluent pas que Dieu n’est point tout-puissant. S’ils font ce qu’il ne veut pas, lui fait d’eux ce qu’il veut, et jamais ils ne changent ni ne maîtrisent la volonté du Tout-Puissant ; toujours cette volonté s’accomplit, soit dans la juste condamnation, soit dans la délivrance miséricordieuse de l’homme. Ainsi rien n’est impossible au Tout-Puissant, que ce qu’il ne veut pas. Il fait servir les méchants, non pas aux desseins de leur volonté dépravée, mais aux vues de sa volonté toujours droite. De même que les méchants font un usage mauvais de leur nature bonne, c’est-à-dire de ce que Dieu a. fait bon ; ainsi la Bonté divine fait un bon usage de leurs œuvres perverses, et sous aucun rapport la volonté du Tout-Puissant n’a le dessous. S’il n’avait dans sa bonté même le moyen de faire servir les méchants à la justice et au bien, il ne les laisserait assurément ni naître ni vivre. Ce n’est pas lui sans doute qui les a rendus méchants, il n’en a fait que des hommes, en créant, non pas le mal qui est en eux contre nature, mais leur nature même ; cependant il n’a pu dans sa prescience ignorer ce qu’ils deviendraient, et s’il a su le mal que feraient ces méchants, il a su aussi le bien que lui-même ferait d’eux. Qui pourrait développer, qui pourrait célébrer dignement combien nous sommes redevables à la passion du Sauveur, qui, a versé son sang pour la rémission des péchés ? Toutefois ces biens immenses ont eu pour instrument la malice du démon, la malice des Juifs, la malice, du traître Juda. Et ce n’est pas à eux qu’on doit rendre hommage du bien que Dieu, et non pas eux, a voulu par eux faire aux hommes ; au contraire ils sont justement tourmentés pour avoir voulu leur nuire. Si ce fait que nous citons prouve avec éclat comment Dieu a. fait servir à notre rédemption et à notre salut les crimes mêmes des juifs et du traître Judas ; Dieu ne voit-il pas, dans ces mystérieuses