Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/225

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

profondeurs de toute créature où nous ne saurions plonger ni de l’œil ni de la pensée, comment lui-même emploie le mal pour procurer le bien, et comment s’accomplit, dans tout ce qui naît et se gouverne au monde, la volonté du Tout-Puissant ?

4. J’ai dit qu’au Tout-Puissant rien n’est impossible que ce qu’il ne veut pas ; et on pourrait m’accuser peut-être de témérité pour avoir dit que quelque chose est impossible au Tout-Puissant. Mais l’Apôtre le dit aussi : « Si nous ne croyons pas, a-t-il écrit, lui n’en reste pas moins fidèle, il ne saurait se nier lui-même[1] ». Ajoutons que s’il ne peut pas, c’est qu’il ne veut pas non plus, car il ne peut vouloir. La justice peut-elle vouloir faire ce qui est injuste ? La sagesse peut-elle se livrer à rien d’insensé ? ou la vérité chercher ce qui est faux ? C’est assez pour nous donner à entendre que non-seulement le Tout-Puissant « ne saurait se nier lui-même », comme s’exprime l’Apôtre, mais qu’il est encore beaucoup d’autres choses qu’il ne peut faire. Ainsi je l’ose dire, je l’ose dire, appuyé sur sa vérité même et sans oser dire le contraire : Malgré sa toute-puissance, Dieu ne peut ni mourir, ni changer, ni se tremper, ni devenir malheureux, ni être vaincu. Que le Tout-Puissant est éloigné d’avoir un semblable pouvoir ! Aussi non-seulement la vérité même démontre qu’il est tout-puissant pour ne pouvoir rien de pareil ; elle contraint même de reconnaître que s’il avait ce pouvoir il ne serait pas tout-puissant. En effet, quand Dieu veut, c’est tout qui veut en lui ; c’est l’éternel, c’est l’immuable, t’est l’infaillible, c’est le bienheureux, c’est l’invincible qui veut. De là il suit que s’il ne peut tout ce qu’il veut, c’est qu’il n’est pas tout-puissant. Mais il l’est ; donc tout ce qu’il veut, il le peut, et ce qu’il ne veut pas ne saurait être. Sa toute-puissance consiste à pouvoir tout ce qu’il veut. « Au ciel et sur la terre, est-il dit dans un psaume, il a fait tout ce qu’il a voulu[2] ».

5. Ce Dieu tout-puissant, qui a fait tout ce qu’il a voulu, a engendré aussi son Verbe unique, par lequel tout a été fait ; mais il ne l’a pas tiré du néant, c’est de lui-même, et pour motif il n’est pas dit qu’il l’a fait, mais qu’il a engendré. « Au commencement, est-il écrit, il a fait le ciel et la terre[3] » ; mais il n’a point fait son Verbe au commencement, car « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[4] ». Ce Verbe est Dieu de Dieu, tandis que le Père est bien Dieu, mais non pas Dieu de Dieu. Il est aussi le Fils unique de Dieu, parce que Dieu n’a aucun autre Fils qui soit formé de sa substance, qui soit coéternel et égal au Père. Ce Verbe est Dieu : il ne ressemble donc pas à cette parole humaine dont la pensée, se représente le bruit et dont, la bouche peut le faire entendre ; ce « Verbe était Dieu » ; voilà ce qui se peut dire de plus court et de plus clair à son sujet. « Il était Dieu », demeurant immuablement dans le sein de son Père, et, comme son Père, immuable lui-même. C’est de lui que l’Apôtre parle ainsi : « Il avait la nature de Dieu et il ne crut pas usurper en se faisant égal à Dieu » ; car cette égalité vient de sa nature même et ne lui est pas étrangère. Voir dans quel sens nous croyons en Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu le Père, Notre-Seigneur.

6. Mais lui, qui dans sa nature divine n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu, lui par qui nous avons été créés, « il s’est anéanti lui-même en prenant une nature d’esclave, il est devenu semblable aux hommes et a été reconnu pour homme par les dehors[5] » ; afin de chercher et de sauver ce qui était perdu : aussi croyons-nous encore qu’il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Ses deux naissances, divine et humaine, sont admirables. Dans l’une il a un Père sans avoir de mère, et dans l’autre une Mère, sans avoir de père ; dans l’une il est en dehors du temps, et dans l’autre il est né en temps convenable ; l’une est éternelle, l’autre temporelle ; l’une ne lui donne point de corps dans le sein de son Père, l’autre lui donne un corps sans altérer la virginité de sa Mère ; l’une a lieu en dehors de tout sexe, l’autre a lieu sans l’union des sexes. Et si nous disons qu’il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, c’est que la Sainte Vierge ayant demandé à l’ange : « Comment cela se fera-t-il ? » l’ange lui répondit : « L’Esprit-Saint descendra en vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre » ; puis il ajouta : « C’est pourquoi ce qui naîtra saint de vous sera appelé le Fils de Dieu[6] ». L’ange ne dit pas : Ce qui naîtra de vous sera appelé le Fils

  1. 2Ti. 2, 13
  2. Psa. 134, 6
  3. Gen. 1, 1
  4. Jn. 1, 1
  5. Phi. 2, 6-7
  6. Luc. 1, 34-35