Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/28

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spirituelle ; pour moi je suis charnel ». Or, si c’est de lui-même que parle l’Apôtre ; si c’est de lui-même, je le suppose et ne l’affirme pas ; si donc il dit de lui-même : « Nous savons que la loi est spirituelle, pour moi je suis charnel » ; ce qui indique que par le corps il est charnel et spirituel par l’esprit : quand sera-t-il spirituel tout entier ? Lorsque « semé corps animal, ce corps ressuscitera spirituel[1] ». Maintenant donc que la mort travaille avec ardeur, « je ne fais pas ce que je veux » ; je suis en partie spirituel et charnel en partie, spirituel dans la meilleure moitié de moi-même, et charnel dans la moitié inférieure. Je suis dans la mêlée encore, je n’ai pas vaincu, et c’est beaucoup pour moi de ne pas être défait. « Je ne fais pas ce que je veux, je « fais ce que je hais ». Que fais-tu ? Je convoite. Sans doute, je ne consens pas à la convoitise, je ne m’abandonne pas à mes passions ; je convoite néanmoins encore, et cette partie qui convoite tient de moi aussi.

9. Car je ne suis pas un autre dans mon esprit et un autre dans ma chair. Que suis-je donc ? « C’est partout moi », moi dans ma chair et moi dans mon esprit. Je ne suis pas deux natures contraires, mais un seul homme composé de deux natures, car Dieu qui m’a fait homme est un aussi. « Ainsi donc c’est moi », c’est bien moi « qui obéis par l’esprit à la loi de Dieu, et à la loi du péché par la chair ». Mon âme n’acquiesce pas à la loi du péché, je voudrais même qu’elle ne se fît point sentir dans mes organes. Mais comme mon vouloir ne s’accomplit pas, il s’ensuit que « je ne fais pas ce que je veux » ; « je convoite » malgré moi ; et que « je fais ce que je hais ». Qu’est-ce que je hais ? La concupiscence. Oui, je hais la concupiscence, et nonobstant elle est dans ma chair, tout en n’étant pas dans mon esprit. Ainsi je fais ce que je hais ».

10. « Or, si je fais ce que je ne veux pas, « j’acquiesce à la loi comme étant bonne ». Que signifie : « Si j’étais ce que je ne veux pas, j’acquiesce à la loi comme étant bonne ? » Sans doute, tu acquiescerais à la loi, si tu faisais ce qu’elle veut : tu fais ce qu’elle défend, et tu y acquiesces encore ? – Il est bien vrai, « si je fais ce que je ne veux pas, j’acquiesce à la loi comme étant bonne ». – De quelle manière ? – La loi dit : « Tu ne convoiteras pas ». Et moi, que voudrais-je ? Ne convoiter pas. Je veux donc ce que veut la loi et « j’acquiesce à la loi comme étant bonne ». Si la loi disait : « Tu ne convoiteras pas », et que je voulusse convoiter, je n’y acquiescerais pas et cette dépravation de ma volonté me mettrait en guerre avec elle. Y acquiescerais-je, si je voulais convoiter quand elle dit : « Tu ne convoiteras pas ? » Maintenant au contraire ? Que dis-tu, ô loi ? – « Tu ne convoiteras pas ». – Je ne veux pas non plus convoiter, non, je ne veux pas. Je ne veux point ce que tu ne veux pas ; ainsi je suis bien d’accord avec toi. Ma faiblesse, sans doute, n’accomplit pas toujours la loi ; mais ma volonté la bénit. Voilà pourquoi, tout en ne faisant pas ce que je veux », je suis d’accord avec elle ; d’accord en ne voulant pas ce qu’elle ne veut pas, et non pas en faisant ce que je ne veux point. Je le fais, en convoitant, sans toutefois consentir à la convoitise. Ainsi pour pécher et donner le mauvais exemple, nul ne doit s’autoriser de l’exemple de l’Apôtre. « Je ne fais pas ce que je veux ». Que dit en effet la loi ? « Tu ne convoiteras pas ». Je ne veux donc pas convoiter ; et pourtant je convoite, tout en ne consentant pas à ma convoitise, tout en ne m’y livrant pas. J’y résiste effectivement, j’en détourne mon esprit, je lui refuse des armes, je veille sur mes sens. Hélas ! néanmoins, il se fait en moi ce que je ne veux pas. Ce que la loi ne veut pas, je ne le veux pas avec elle ; je refuse ce qu’elle refuse, ainsi nous sommes d’accord.

11. Il est vrai, je suis en même temps dans ma chair et dans mon esprit ; mais je suis plus moi dans mon esprit que dans ma chair ; car je suis dans mon esprit comme dans la partie qui commande, attendu que le corps est gouverné par l’esprit, et il y a plus de moi dans ce qui commande que dans ce qui est commandé en moi. Or, puisqu’il y a plus de moi dans mon esprit, je puis dire : « Maintenant donc, ce n’est plus moi qui fais cela ». – « Maintenant », c’est-à-dire, « maintenant que je suis affranchi », après avoir été vendu en esclave au péché, maintenant que j’ai reçu du Sauveur la grâce de me complaire dans la loi de Dieu, « ce n’est plus moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi ; car je sais que le bien n’habite pas en moi ». En moi, encore une fois ; dans quelle partie de moi-même ? « En moi, c’est-à-dire

  1. 1Co. 15, 44