Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/29

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dans ma chair ; car en moi-même réside le vouloir ». « Je sais », dis-tu. Que sais-tu ? « Que le bien n’habite pas en moi, autrement dans ma chair ». Tu viens de dire pourtant Je ne sais ce que je fais ». Si tu ne sais, comment sais-tu ? Tu dis : « Je ne sais » ; et puis : « Je sais » : à mon tour, je ne sais ce que je dois croire. Serait-ce ceci ? Dans cette phrase : « Je ne sais ce que je fais », je ne sais signifierait je n’approuve pas, je n’agrée pas, il ne me plaît pas, je ne consens pas, je n’applaudis pas. C’est ainsi qu’au Christ ne seront pas inconnus sans doute ceux à qui il dira : « Je ne vous connais point[1] ». Oui, c’est dans ce sens que je comprends ces mots : « Je ne sais ce que je fais ». Je ne fais pas en effet ce que je ne sais pas. « Or, ce n’est pas moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi ». C’est ce qui me fait dire que je ne fais pas ; comme il est dit du Seigneur qu’il ne connaissait pas le péché[2] ». Comment, il ne le connaissait pas ? » Ne connaissait-il pas ce qu’il condamnait ? Ne connaissait-il pas ce qu’il châtiait ? Mais s’il ne l’avait pas connu, le châtiment n’eût-il pas été injuste ? Le châtiment étant juste, il connaissait donc le péché, et s’il est dit qu’il ne le connaissait pas, c’est pour indiquer qu’il ne le commettait pas. « Ainsi je ne sais ce que je fais ; car je ne fais pas ce que je veux, mais ce que je hais. Or, si je fais ce que je hais, j’acquiesce à la loi comme étant bonne. Maintenant donc », que j’ai reçu la grâce, « ce n’est pas moi qui fais cela ». Mon âme est libre et ma chair est esclave. « Ce n’est pas moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi. Car je sais qu’en moi, c’est-à-dire dans ma chair, le bien ne réside pas ».

12. « En effet, le vouloir est en moi, mais je n’y trouve pas à accomplir le bien ». Je puis le vouloir, je ne puis l’accomplir. Il n’est pas dit : Je ne puis pas le faire, mais l’accomplir. Tu ne saurais dire, hélas ! que tu ne fais rien. La convoitise s’élève et tu la réprimes. Voici les charmes d’une femme étrangère, tu n’y cèdes pas, tu détournes l’esprit, tu rentres dans le sanctuaire de ton âme. Voici encore de bruyants attraits, tu les condamnes, tu préfères la pureté de ta conscience. Non, dis-tu, je n’y consens pas. – Mais comme c’est délicieux. – Je n’en veux point, j’ai d’autres plaisirs ; je me complais selon l’homme intérieur dans la loi de Dieu ». Pourquoi tant faire avec ce corps ? Pourquoi me prôner si haut ces plaisirs insensés, passagers, éphémères, vains, nuisibles, et me les vanter avec une si creuse faconde ? Les impies m’ont parlé de leurs délices ». Comme eux la convoitise fait miroiter ses jouissances devant moi, « mais ce n’est pas comme votre loi, Seigneur[3]. – Car je me complais dans la loi de Dieu », non par ma vertu, mais par la grâce divine. O convoitise, agite-toi dans mon corps, tu ne t’assujettis pas pour cela mon esprit. « Je me confierai en Dieu, je ne craindrai pas les tentatives de la chair[4] ». En vain la chair fait bruit quand je ne donne pas mon consentement, le consentement de ma volonté. « Je me confierai en Dieu ; je ne redouterai point les assauts de la chair » ; de la mienne comme de celle d’autrui. Or, n’est-ce rien faire que de faire tout cela ? C’est faire beaucoup, c’est faire énormément, mais ce n’est pas accomplir. Qu’est-ce que accomplir ? C’est être en état de dire : « O mort, où est ton ardeur ? » Voilà donc le sens de ces mots : « Le vouloir réside en moi, mais je n’y trouve pas à accomplir le bien ».

13. « Effectivement, je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas ». Il répète : « Or, si je fais le mal que je ne veux pas », en ressentant la convoitise, « ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. J’approuve donc la loi, quand je veux faire le bien ». Je la trouve bonne ; oui, elle est quelque chose de bien. Comment l’approuve-je ? En voulant l’accomplir. « J’approuve donc la loi, quand je veux faire le bien ; car le mal réside en moi ». Ici encore : en moi, car ma chair ne m’est pas étrangère ; elle n’est ni d’une autre personne, ni d’un autre principe, mon âme venant de Dieu, et mon corps de la race ténébreuse. Assurément non. La maladie est contraire à la santé. Je suis l’homme laissé sur le chemin à demi-mort[5] ; on me traite encore, on travaille à guérir toutes mes langueurs[6].

Je ne fais pas ce que je veux, mais ce que je hais. Or, si je ne fais pas ce que je veux,

  1. Mat. 7, 23
  2. 2Co. 5, 21
  3. Psa. 118, 85
  4. Psa. 55, 5
  5. Luc. 10, 30
  6. Psa. 102, 3