Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VII.djvu/35

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point le péché », dit-il en parlant de lui. C’est bien la même idée que j’exposais devant vous, lorsque je vous expliquais ce même passage. « Il ne connaissait pas le péché » ; et pourtant ce même Jésus-Christ Notre-Seigneur qui ne connaissait pas le péché », Dieu, le Père l’a « fait péché pour l’amour de nous[1] ». Oui, Dieu le Père a fait péché pour l’amour de nous ce même Jésus-Christ qui ne connaissait pas le péché, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu ». Distinguez ici deux choses : la justice de Dieu et non la nôtre ; elle est en lui, et non en nous, et c’est par lui que se sont formés ces grands saints dont il est dit dans un psaume : « Votre justice s’élève comme les montagnes de Dieu ». – « Votre justice », et non la leur ;  « votre justice s’élève comme les montagnes de Dieu ». Aussi bien j’ai élevé mes yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours » ; mais ce secours ne viendra pas des montagnes mêmes, car « mon secours viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre[2] ». Or, après ces mots : « Votre justice s’élève comme les plus hautes montagnes », le prophète suppose qu’on pourrait lui demander : Comment alors expliquer la naissance de ceux qui n’ont point part à cette justice de Dieu, et il ajoute : « Vos jugements sont profonds comme le grand abîme ». Que signifie : « Comme le grand abîme ? » Que ces jugements sont impénétrables et inaccessibles à l’esprit humain. Car les trésors de Dieu sont inscrutables, ses déterminations mystérieuses et ses voies inabordables[3]. C’est ainsi qu’« il a envoyé son Fils », pour appeler, justifier et glorifier ceux qu’il a connus dans sa prescience, et prédestinés, et pour faire dire à ses montagnes : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous[4] ? » – « Dieu donc a envoyé son Fils, et par le péché même il a condamné le péché dans la chair, afin que la justification de la loi s’accomplît en nous ». Elle ne suffisait pas à se faire accomplir, le Christ a donné la grâce de le faire, car il n’est pas venu détruire la loi, mais la mener à sa fin[5].

9. Mais comment, à quelle condition cette « justification de la loi » pourrait-elle s’accomplir, et s’accomplit-elle en nous ? Tu veux le savoir ? L’Apôtre dit : « En nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l’Esprit ». Que signifie marcher selon la chair ? Consentir aux désirs de la chair. Et marcher selon l’Esprit ? C’est avoir l’âme soutenue par l’Esprit et ne suivre pas les impressions charnelles. C’est ainsi que s’accomplit en nous la loi, la justification de Dieu. Maintenant en effet, on observe cette recommandation : « Ne va pas à la remorque de tes convoitises[6] » ; et par ce mot entends ici les convoitises désordonnées. « Ne va pas à la remorque de tes convoitises » c’est ce que doit faire notre volonté avec la grâce de Dieu ; elle doit n’aller pas « à la remorque de ses convoitises ». Sans doute, tous les anciens péchés produits en nous par la convoitise, péchés d’actions, de paroles ou de pensées, sont effacés, anéantis par le saint baptême, car ce grand pardon embrasse tout ; mais il nous reste à lutter contre la chair ; si l’iniquité est anéantie, la faiblesse n’a point disparu, la concupiscence désordonnée demeure en nous, elle provoque. Ah ! combats, résiste, garde-toi de consentir ; et de cette manière tu n’iras pas à la remorque de tes convoitises ». Quand même elles s’élèveraient en nous et se jetteraient dans nos yeux, nos oreilles, sur notre langue et dans notre imagination volage, même alors ne désespérons pas de notre salut. N’est-ce point pour cela que nous répétons chaque jour : « Pardonnez-nous nos offenses[7] ? » – « Afin que la justification de la loi s’accomplisse en nous ».

10. Qui, nous ? En nous qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l’Esprit. En effet, ceux qui sont dans la chair goûtent les choses de la chair ; mais ceux qui suivent l’Esprit ont le sentiment des choses de l’Esprit ; car la prudence de la chair est mort, « tandis que la prudence de l’Esprit est vie et paix. La prudence de la chair est vraiment ennemie de Dieu, attendu qu’elle n’est ni soumise à sa loi, ni capable de s’y soumettre ». Comment, « incapable de s’y soumettre ? » Ce n’est pas que l’homme, ce n’est pas que l’âme, ce n’est pas que la chair même, en tant que créature de Dieu, en soit incapable ; c’est la prudence même de la chair, c’est le vice et non la nature qui en est incapable. Tu pourrais dire : Un boiteux ne marche pas droit, car il ne le saurait. Comme homme, il le peut sans doute, mais non pas comme

  1. 2Co. 5, 21
  2. Psa. 120, 1, 2
  3. Rom. 11, 33
  4. Rom. 8, 29-31
  5. Mat. 5, 17
  6. Sir. 18, 30
  7. Mat. 6, 12